Navigation dans l'œuvre de Paul Le Bohec, pour une école réparatrice de destins
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Pour une méthode naturelle de saut en hauteur

Pourquoi de saut en hauteur ?
Et pourquoi pas de saut en hauteur ?

Depuis sa naissance, l’École Moderne s’est attaquée à bien des problèmes. Dans plusieurs domaines : Français, Géographie, Art Enfantin, elle a acquis une maîtrise incontestable. Le calcul vivant, l’histoire, les sciences ne sont pas parvenus à un stade aussi avancé mais ils sont néanmoins sur la bonne voie. Delbasty nous montre la voie en musique. L’heure n’est-elle pas venue de s’attaquer au problème de l’Éducation Physique et Sportive. C’est une question trop importante pour qu’on la passe sous silence.

Mais quoi, n’avons-nous pas la méthode Naturelle de Georges Hébert. Si, elle peut constituer une excellente méthode d’Éducation Physique. À son propos, il serait intéressant de savoir ce qu’en pensent les camarades qui l’emploient ; comment travaillent-ils dans leur classe ? - seul, Lallemand a écrit quelques articles à ce sujet.

Seulement la méthode Hébert est-elle une méthode d’Éducation Physique et sportive ?

Nous avons actuellement dans nos classes les hommes de 1970. Commercialisé ou non, le sport existera encore à cette date. Nous devons éduquer les enfants dans ce sens, car c’est à 7 ans et non à 20 que le geste sportif s’acquiert le plus aisément. Pour accrocher les camarades à ce vaste problème, je propose à leur critique, ma façon d’enseigner le saut en hauteur.

Les enfants ne connaissent qu’un style : le ciseau. Ils l’ont vu employer depuis des années par les candidats au C.E.P., par ceux du moins qui sautent avant le jour de l’examen. Ce style est à mon avis difficile, limité et peu efficace. Un problème se pose : c’est celui devant lequel se trouve placé le maître qui a des enfants ne dessinant que des bateaux et des maisons, à la règle. C’est l’enseignement de la liberté : il faut briser les carcans.

Pour cela je saute - de 20 façons différentes : en partant de la droite, de la gauche, de face, en ciseau, en rouleau, en plongeon, en galipette - la tête la première, ou les mains ou le pied - ou les deux pieds joints.

Ils ont compris : et pendant plusieurs récréations s’en donnent à cœur joie. Le sautoir débordant de sable est à leur libre disposition.

Au bout d’un certain temps, ça y est. Chacun a adopté une ou deux manières de sauter. Alors je les classe par groupe.

Il y a les partisans du ciseau (les plus nombreux),
du rouleau ventral (assez nombreux),
du plongeon (deux petits),
du retournement à l’intérieur (1 seul),
du saut comique (2 ou 3 loustics).
(Le saut comique constitue une excellente gymnastique au sol.)

Je fais sauter chacun des groupes avec appel à droite, en face, à gauche, d’où nouveau classement et création de nouveaux styles. Tout cela établi, je prends en main un groupe, celui du rouleau ventral par exemple. (Je ne sais si c’est le terme qui convient, je l’emploie pour plus de commodité. Le geste importe plus que sa dénomination).

Je place en tête les meilleurs stylistes et je commente les sauts. Je dis : « Très bien - parfait - bon - ça va ».
Ou bien : « Bien la première jambe, mais ton genou a accroché parce qu’il était comme un mètre en accordéon. Recommence en allongeant un peu plus la jambe.
- Cette fois-ci c’est la première qui n’est pas passée. Il faut passer la première, puis la deuxième allongée. Essaie.
- Bon cette fois-ci c’est très bien. »

« Et toi Jean-jean, pourquoi accroches-tu ? Tes jambes agissent bien, mais la seconde a un léger temps de retard. Tu dois enjamber la corde le genou droit le premier et quand tu es en l’air, tu donnes un coup de jambe allongée vers le ciel. Essaie.
- Ah ! non. Voilà ce que tu fais : tu passes la premièèèèère et puis la deuxièèèèèèème. Voilà ce qu’il faut faire : la première, la deu-eu-zièm !!! bien vif, le coup de jambe en l’air. Essaie.
- Voilà très bien réussi. Essaie encore : parfait. »

La correction porte sur des détails car l’ensemble du style est familier à l’enfant : il est naturel pour lui. L’enfant peut se soucier uniquement de ses jambes, le reste étant acquis.  Et, j’insiste là-dessus, la corde est à une hauteur quelconque. Il n’est question que du style. Que faut-il au maître : une grande connaissance technique ? Non pas, mais plutôt du bon sens pour aider l’enfant à corriger ses erreurs. Cependant, si l’on peut démontrer par le geste, les progrès sont plus rapides - presque instantanés.

Et quels sont les résultats.

Quand les enfants s’écrient :
« Oh ! Monsieur ce qu’il saute bien, Gérard ! », ils veulent dire à la fois qu’il saute haut et qu’il saute beau.
En saut les deux vont de pair.

La décontraction - la coordination - l’exact cheminement des segments dans l’espace sont nécessaires à un bon saut en hauteur mais ils confèrent aussi au geste une sobriété, un rythme, une harmonie, facteurs de beauté.
Les enfants y sont très sensibles, les adultes aussi.

Dernièrement, deux grandes personnes nous regardaient. Quand Étienne (6 ans) a fait son plongeon, elles ont poussé un « Oh !» d’admiration tellement c’était joli. La course, l’appel, le passage de la corde, l’atterrissage, tout cela était lié, coulé, beau. Le saut ainsi conçu, c’est de la danse. Un geste sportif peut créer une émotion esthétique.
Les enfants y sont sensibles : de nombreux pratiquants du ciseau viennent au rouleau ventral, parce qu’il est plus beau. Donc, résultat certain sur le plan esthétique.

Et en hauteur ? Quel est le record, combien sautent 1,20 m, etc. Ma foi, je ne m’en suis pas encore inquiété. La recordite n’a pas sa place à l’école primaire.
La notion de la hauteur à franchir paralyse les enfants qui sautent contractés et les progrès sont maigres. Je ne compte pas mesurer les sauts avant le troisième trimestre.
J’ai cependant discrètement testé mes candidats au C.E.P.
Un gros derrière qui passe difficilement 75 cm en ciseau a déjà franchi 95 cm en ventral. Perfectionner une tendance naturelle à l’enfant, n’est-ce pas une méthode naturelle.

Et maintenant je sens la nécessité d’acquérir d’autres styles comme le rouleau californien, le rouleau costal, le retournement à l’intérieur pour pouvoir les présenter aux enfants.

Paul Le Bohec

Texte paru dans l’Éducateur n°7, édition technologique, 10nov1957/1erdéc1957, p.13-14-15