Il y a déjà et il y aura certainement une grande quantité de gens.
Mais j’en suis peut-être.
Pourtant, j’ai été l’un des premiers à essayer de démolir l’orthographe dans certains articles.
Alors ?
Alors, je me suis mieux rendu compte que l’orthographe pouvait être un constituant de la langue française. Et y toucher trop inconsidérément serait peut-être créer un déséquilibre néfaste.
C’est peut-être pour cela que la résistance est si grande. Et c’est pour cela qu’on n’y touchera pas. Cependant, on peut d’une part opérer des régularisations souhaitables. Et qui sait, ce premier pas serait suivi d’autres pas. Une fois qu’on a commencé...
Mais cela ne pourra se faire que sous la pression de l’opinion.
D’autre part, un académicien nous a dit un jour :
« C’est à vous de changer les choses. L’Académie se borne à enregistrer l’usage. »
Alors je pense que sur ces deux plans on pourrait travailler pour desserrer cette hantise obsessionnelle de l’orthographe, on pourrait faire courir des slogans courts mais forts. Même pas besoin d’imprimerie, ça peut se faire à la main. Et il y a tant de gens à souffrir de l’orthographe que l’on trouverait des quantités de mains pour afficher ou répandre des messages du type suivant :
« L’orthographe sert à empêcher d’écrire. »
« L’orthographe est un moyen d’oppression. »
« L’orthographe est un bijou fou d’un sou. »
« Qui empêche le peuple d’accéder à la parole écrite (1) ? »
« Qui empêche le peuple de jouir aussi de la parole écrite ? »
Etc.
C’est une sorte de préparation à une rencontre culturelle par un changement nécessaire des mentalités.
Mais l’action peut être plus directe. Un article en orthographe régularisée dans une revue confidentielle comme L’Éducateur, ça ne suffit pas.
Il faut que nos propositions gagnent la rue. Ça doit être amusant et facile (amusant, en fait c’est dramatique !).
On se mettrait d’accord pour une régularisation sur un mois (ou un trimestre) et on écrirait partout sur les vitres, sur les arbres, sur les murs, dans les couloirs, des séries régularisées (à mon avis dans l’optique de Thimonnier) :
charrette, charriot ;
apparaître, appercevoir, appaiser...
suivant ce qui est dominant dans la série. Évidemment ça dérangerait. C’est fait pour ça.
Mais déjà les extrémistes se récrient : « On ne va pas assez loin. »
Alors on va continuer à ne rien faire. Et c’est dramatique.
Paul Le Bohec
Texte paru dans l’éducateur n°7, courrier des lecteurs, 10 janvier 1977, 4ème de couverture
(1) Mais en fait ce n’est pas seulement l’orthographe qui empêche la parole populaire de se lever. Et il y a de fortes résistances, à gauche comme à droite.