Depuis un certain temps, dans L’Éducateur, il est question de l’apprentissage de l’orthographe. Mais ce problème me semble posé en termes un peu mécanistes. Pour moi, la correction d’une orthographe se situe au niveau de l’infrastructure de la personnalité. Ce sont des éléments d’ordre théorique mais aussi des faits de la vie qui me font dire cela.
On sait que la mémoire et la connaissance sont liées à l’affectivité.
« En tout état de cause et dans tous les cas, l’affectivité est inséparable, ne serait-ce que comme accompagnatrice, de la connaissance et de la pensée humaine. En tout état de cause et dans tous les cas, la rationalité est fragile, et elle doit sans cesse être réfléchie, réexaminée et redéfinie, plus encore : la domination de la raison sur l’affectivité ne saurait être toujours reconnue avec certitude, ni être toujours considérée comme condition optimale de la connaissance. »
Edgar Morin, La connaissance de la connaissance, Seuil.
Bref, ce n’est pas simple ; c’est même complexe. Et justement, ce que nous a apporté Freinet, c’est la prise en compte de l’enfant dans sa totalité, dans sa complexité. Voici à ce sujet, quelques anecdotes :
On dit à un gamin de sept ans et demi :
- Mais enfin, tu sais bien que, quand il y en a plusieurs, il faut mettre un « s » à la fin : les chiens, les élèves, les chats, il faut un « s » parce qu’il y en a plusieurs.
- Mais moi je veux pas être plusieurs !
Un petit frère venait de lui naître.
Une classe de Saint-Étienne vient en classe de mer à Logonna-Daoulas, dans le Finistère. L’institutrice s’étonne :
- Je ne sais pas ce qui arrive à Patrice. À Saint-Étienne, il fait une quinzaine de fautes dans chacune de ses dictées. Et ici, il n’en fait qu’une ou deux.
- Et qu’est-ce qu’il vaut en voile ?
- Oh ! En voile, c’est le champion ; c’est lui qui gagne toutes les régates.
Dans les brochures Rémi à la conquête du langage écrit, on voit, en fin de CE2, comment l’enfant – qui s’était engagé au début de CP dans une assez intense dyslexie – améliore son orthographe après qu’il ait procédé à un meurtre symbolique.
Un jour, Pierrick fait sa catharsis en exprimant fortement son drame (voir la BTR n° 9 et n° 10 : De la parole qui surgit parfois). Et son écriture, ses mathématiques, son orthographe s’améliorent parce qu’enfin, il peut les voir de l’extérieur.
Annick a eu le malheur de faire toutes ses classes du primaire après ses deux sœurs très brillantes. Aussi, elle s’est payé une dysorthographie spectaculaire. Mais quand elle s’est rétablie dans la vie, elle a pu disposer d’une orthographe acceptable.
Ce ne sont là que de maigres éléments de réflexion. Mais chacun en trouvera d’autres dans sa pratique pédagogique ou son environnement social, familial et autres. Il est clair aussi que dans beaucoup d’apprentissages, le progrès peut s’effectuer à partir d’une analyse consciente et surtout d’une imprégnation inconsciente. Il faut organiser le milieu. C’est ainsi que dans certains cours préparatoires, on affiche chaque jour le texte choisi et, évidemment, correctement écrit. Les enfants baignent alors dans un environnement orthographiquement sain. Les mots s’y trouvent en situation. Et les enfants les trouvent dans leur juste graphie même à partir de textes comme :
Quand j’avais cinq ans
je dormais sur un lit de camp.
Les freinétistes de tous bords savent déjà cela. Mais j’ai tenu à rappeler l’importance, pour les acquisitions, d’une bonne santé psychologique, car c’est souvent « la voile » qui fait plus avancer l’orthographe que les exercices de mémorisation. Freinet disait :
« J’ai le sentiment précis de la direction dans laquelle nous devons avancer mais c’est à mesure que j’avance que je connais mon chemin. »
Nous, on connaît son chemin, mais il ne faudrait pas qu’on l’oublie.
Paul Le Bohec
Texte paru dans l’éducateur n°3, courrier des lecteurs, novembre 1987, p.3