Navigation dans l'œuvre de Paul Le Bohec, pour une école réparatrice de destins
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Quelle méthode pour apprendre à lire ?

Paul Le Bohec réagit, lui aussi, aux propos de Marc le Bris sur l’apprentissage de la lecture (Ouest-France, 26 avril 2004).

Pour développer au maximum leur vocabulaire, les langues ont recours à divers procédés. L’italien, par exemple, se contente d’une demi-douzaine de voyelles et recourt à la fixité de la prononciation des signes, ce qui l’oblige à jouer sur la longueur des mots. Le français y répugne. Il double le nombre de ses voyelles en les nasalisant, il affuble un même signe de plusieurs prononciations et il intègre au lexique beaucoup de mots d’origine étrangère.

Il suffit aux petits Italiens de déchiffrer pour savoir lire. C’est absolument insuffisant pour les petits Français. S’ils ont appris à déchiffrer par la méthode Boscher, il ne leur reste plus qu’à apprendre à lire. Il est vrai que « b » + « a » donne toujours « ba » mais la prononciation de « m » + « en » est beaucoup moins assurée.
Il sonne bien « en » dans « comment », mais « in » dans « examen », « èn » dans « abdomen ».
Et « solennel » ne se prononce ni « solan », ni « solin » ni « olèn », mais « sola ».
Et dans « ils savent », « en » devient « e ».

S’il ne s’agissait que d’une exception, ce ne serait pas grave, mais, en français, la variation de la prononciation des voyelles est constante (temps, dilemme, femme...). Même incertitude au niveau de la prononciation des consonnes (quotient, il tient, wagon, waters,...). Et pourtant, en lisant, on se trompe rarement parce que les mots ne sont pas isolés comme dans la méthode Boscher ; les autres éléments de la phrase interviennent. Par exemple, la prononciation du second « mes fils » est déterminée par « débrouillé ». De plus, les très nombreux mots étrangers naturalisés français ne peuvent que se lire globalement (timide, timing, une halle, un hall...).

Dernier point : la méthode Boscher n’append pas à penser. Mais c’est une question que peu de gens se posent. Certes la lecture sert à déchiffrer la pensée des autres, mais on ne voit pas que les enfants doivent aussi être aidés dans la construction de leurs propres idées. Et c’est plus grave qu’on ne le croit car le malaise de l’école vient de là. On n’y trouve généralement que des élèves, et rarement des enfants. L’enseignement de la lecture est une affaire sérieuse. On doit y réfléchir et ne pas se contenter des idées reçues.

 

Paul Le Bohec

Courrier des lecteurs Ouest-France, Mai 2004

Texte paru dans le Bulletin des Amis de Freinet N°82, Mars 2005, p.59