Cela ne saurait concerner ceux qui ont un système d’enseignement bien en place. Ils n’ont aucune raison d’en changer.
Mais certains ne sont pas tout à fait contents de ce qu’ils font, bien que tous leurs proches copains le soient. Ils trouvent que ça ne fonctionne pas juste, que « ça branle dans le manche », comme on disait autrefois.
Alors, je me permets de leur proposer une piste de réflexion : celle de l’accès à la prise en compte du monde extérieur. On naît « être individuel », mais ce n’est que progressivement que l’on devient « être social ». Et cela se passe vers neuf ans.
À mon point de vue, cette idée n’a jamais été réellement prise en compte à l’ICEM. Il faut dire que dans les classes uniques, on ne pouvait s’en apercevoir parce que les choses se passent en douceur, sans que personne s’en aperçoive. Mais un jour je suis allé travailler dans le CE2 de Pierrick qui avait un cycle 3. Et nous étions d’accord sur le fait que Clément, Lancelot, Faatema avaient franchi le seuil tandis que Mathilde, Agnès, Marouane étaient encore des bébés pas encore sortis de leur égocentrisme.
Si cette idée de l’accession progressive au monde extérieur était confirmée, cela aurait de graves conséquences. Par exemple, cela remettrait en cause la pédagogie institutionnelle dans les petites classes, et les ateliers de philo, le conseil etc. Pas encore assez de maturité pour cela. La pédagogie Freinet a toujours fonctionné sous quatre dominantes : l’expression-création, la communication, l’organisation coopérative de la classe et l’étude de l’environnement. Pour moi, elles sont à hiérarchiser dans le temps.
Évidemment, pour beaucoup, pas question de remettre en cause ce qui marche si bien à leurs yeux. Bon, laissons-les dans leurs certitudes. C’est déjà d’ailleurs pas mal d’avoir une base de travail solide.
Mais il y a une question qui devrait venir à l’esprit : « Quand on fait cela, on ne fait pas autre chose. Et si c’était autre chose qu’il fallait faire ? »
Mais quand on est dans un bon groupe de copains unis dans leurs conceptions, on n’ose pas, on n’est même pas tenté de jouer au déviant. Il faut des rencontres, des circonstances, pour être amené à se poser la question : « Et si, moi, je laissais les enfants en friches ? »
Mais comment le savoir si on n’a aucune expérience de l’élan formidable qui habite les gosses quand ils sont vraiment dans les conditions d’une expression-création généralisée. Ils sont créatifs, géniaux et ils règlent des problèmes récurrents qui les empêchaient d’avancer comme en témoignent déjà d’assez nombreuses expériences. Et, en plus, ils apprennent davantage parce qu’ils travaillent dans la complexité. Et l’on sait que « le chemin le plus rapide d’un point à un autre, c’est la ligne brisée si on court dessus à toute vitesse au lieu de se laisser tirer, à plat ventre, comme un éléphant de mer, sur la ligne droite ».
En fait, il me semble – mais je pourrais avoir raison – que, dans la société d’aujourd’hui, il est inconcevable de ne pas donner les paroles aux enfants.
Paul Le Bohec
Courriel sur la liste de l’ICEM, Août 2008