L’origine du déséquilibre des enfants semble être familiale et, par conséquent, sociale. La société est mal faite pour les hommes qui se cognent sans cesse aux obstacles dressés sur leur chemin. La vie n’est pas facile pour les familles. Il semble qu’il faudrait atteindre un minimum d’aisance pour que les enfants ne soient pas des victimes. Il y aurait peut-être aussi un maximum à ne pas dépasser. Certaines familles riches (trop riches) ne sont pas unies parce que leur vie est trop facile, l’ennui vient et la mésentente s’installe dans le foyer.
De toute façon, que ce soit par insuffisance ou surabondance des moyens matériels de la vie, le déséquilibre familial est très fréquent. Les enfants le ressentent profondément.
Il n’est pas question de rechercher ici quels sont les éléments de l’équilibre et, par conséquent, du bonheur d’une famille. Mais on pourrait essayer de discerner quels seraient les remèdes ou les compensations que l’on pourrait donner aux enfants frustrés.
Autrefois, les conditions de vie de beaucoup de familles étaient aussi très mauvaises. Mais l’enfant pouvait y échapper et trouver des refuges. La rue n’était pas dangereuse, même dans les grandes villes, la campagne était à portée de la main ; les terrains vagues étaient très nombreux. Mais la civilisation industrielle, la concentration urbaine, ont modifié cet état de choses. L’enfant n’a plus d’endroit à lui où il puisse se re-créer, se retrouver, se réfugier. Il n’a plus beaucoup de recours : il est écartelé dans sa famille et, dans la rue, la multitude des bruits, des mobiles qui évoluent autour de lui, l’obligent à un éparpillement supplémentaire de son être ; il n’a plus de havre, il n’a plus de port.
Seule l’école peut être cet endroit réservé, ce refuge préservé où l’enfant pourra être lui-même et où il pourra trouver un milieu sécurisant, et une affection dont il est si avide.
L’enfant a besoin d’être aimé, d’être considéré autrement que comme un objet, un élément du décor, un caillou de ce monde.
Autrefois, les vieilles méthodes semblaient garantir cet équilibre parce que, en dehors de l’école, sur la petite place, dans la rue ou à la maison, l’enfant était en sécurité : il pouvait être lui-même. Elles n’apportaient peut-être pas beaucoup à l’enfant, mais elles ne lui étaient pas trop néfastes.
Mais maintenant, il est absolument indispensable, il est urgent même de reconsidérer la question sous cet angle : « L’école est, désormais, le seul recours. »
Alors, l’enfant ne doit pas être considéré comme une machine qui assimile plus ou moins bien le calcul ou l’orthographe mais comme un être vivant qui souffre, qui a des problèmes, qui a vécu des drames et qui a besoin de s’en délivrer pour retrouver son unité sinon sa sérénité.
J’ai quelques contacts avec les vieilles méthodes et je suis effrayé de voir à quel point on ignore la personnalité de chaque enfant. Si la vieille souche de mon jardin pouvait faire de la grammaire, du calcul, de l’orthographe, beaucoup d’instituteurs l’installeraient sur un banc de leur classe.
Les Techniques Freinet donnent à l’enfant le moyen d’extérioriser au moins son malheur et de s’en libérer, que ce soit directement par le texte libre ou le dessin, ou indirectement par la poésie, le théâtre, la musique, etc. Cet aspect de la possibilité de libération par des voies secrètes est très important.
La réussite dans le travail est également très rééquilibrante. Réussir à l’école alors que la vie extra-scolaire n’est qu’une succession d’échecs.
Quel monde exaltant, le monde où l’on réussit, où l’on est capable de quelque chose.
Dans les vieilles méthodes, il n’y avait que les premiers qui pouvaient se sentir ainsi rassurés sur eux-mêmes. Comment les instituteurs actuels se plaindraient-ils des méthodes employées par leurs aînés puisqu’ils étaient les têtes de classe qui réussissaient.
Mais le reste de la classe ressentait le désavantage de n’être pas le premier ou le second.
Rudolf Steiner disait, à ce propos :
« La naissance et l’extension de la technique ont tout modifié. L’humanité se trouve aussi impliquée dans un destin au sein duquel la condition humaine et le développement de l’enfant se heurtent à des obstacles tels qu’aucune époque n’en a jamais connus. »
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L’attention imposée du dehors est déséquilibrante et inefficace. Rien ne vaut la recherche de la solution à des problèmes personnels. On peut faire confiance à l’enfant : ses problèmes personnels sont innombrables et il y a là un enrichissement certain sur le plan culturel
L’enfant a un pouvoir de concentration extraordinaire. J’en ai des exemples tous les jours. Je dirai même qu’il n’est pas dangereux de voir un enfant se spécialiser dans telle ou telle activité parce qu’il sera nécessairement entraîné à sortir du cercle dans lequel il pourrait s’enfermer.
D’autre part, il est un membre de la communauté scolaire et il se trouve au courant des recherches de ses camarades, et cela peut l’amener à sortir de sa spécialité.
Contribution de Paul Le Bohec au dossier « Première enquête de Techniques de Vie »
Texte paru dans Techniques de vie N°5, Octobre 1960, p.8-10, p.14