La commission ne s’est réunie qu’une seule fois, mais très utilement je crois, puisque en sortant de la salle nous y voyions plus clair.
Nous avons discuté et nous avons finalement compris qu’il ne fallait pas opposer les albums documentaires ou géographiques aux albums littéraires et artistiques. Il y a un lien entre eux. Les albums, la conférence, la géographie, l’histoire, le calcul vivant, le dessin, la peinture, tout cela c’est sous des formes différentes, l’expression d’une seule et même chose : la traduction de choc que reçoit l’enfant lorsqu’il est confronté à son milieu.
Les angles de prise de vue, durée, espace, rythme, architecture, couleur… doivent être multiples pour que le réel soit saisi dans son ensemble et pour que l’enfant puisse choisir celui ou ceux qui conviennent plus particulièrement à sa personnalité. Nous devons doter chaque enfant d’un récepteur sensible, aux possibilités maxima.
Mais les divers angles se chevauchent souvent au lieu de se juxtaposer. C’est pourquoi un album uniquement documentaire peut être chargé d’une grande densité émotionnelle même s’il est dépouillé à l’extrême et peut-être à cause de cela.
Lucienne Balesse disait que nous devons faire accéder l’enfant à l’objectivité mais beaucoup d’enfants ont entre eux et le réel, le mur de leurs problèmes personnels auquel il faut bien d’abord s’attaquer.
L’album, par ses formes multiples et son éventail très large de possibilités d’expression doit pouvoir être un excellent outil de libération sur le plan psychologique.
Comme le dit Bertrand, il n’y a plus besoin d’éduquer dans le sens de l’éducateur ou de la société. Ce qu’il faut, c’est faire arriver l’enfant, le faire naître à lui-même et pour cela le désaliéner.
Il faut suivre l’enfant et l’aider à aller là où il veut aller, là où le pousse un besoin, une nécessité intérieure. L’éducateur doit se garder de tirer la couverture à lui, d’amener l’enfant dans ses voies. Aussi doit-il se méfier des œuvres de pure imagination qui sont délicates à mener à bien.
Nous avons aussi essayé de définir une sorte de méthode scientifique de la création littéraire et nous avons examiné quelques points de départ possibles.
– commentaires de dessins ;
– commentaires de photos ;
– évènements réels transcrits sous forme d’un documentaire parfois poignant dans sa concision.
Lucienne Balesse a signalé le danger de la « poésie ». Il faut se méfier des thèmes soi-disant faciles tels que Soleil-Lune-Étoile ; Père Noël ; printemps, qui sont, en réalité, difficiles à traiter. Il est mal aisé d’oublier tout ce qui a été dit à ce sujet et le maître a de la peine à maintenir son attelage en dehors des ornières profondes. Et on aboutit assez souvent à l’album kaléidoscopique fait de poussières d’idées non organisées.
Cependant, ces thèmes permettent souvent de prendre un bon départ. L’essentiel, c’est de savoir les abandonner à temps. Ce sont, si l’on veut, des thèmes catalyseurs.
Mais il vaut mieux être attentif aux textes libres, nés de la vie, qui contiennent une action dramatique en puissance.
Un exemple : « En allant à l’école, Émile Goasdoué avait grimpé dans un cerisier. Le propriétaire était venu ; il avait attaché son méchant chien à l’arbre. Émile ne pouvait plus descendre, il ne pouvait que manger des cerises sans aller à l’école. »
Ce texte, c’est la scène d’exposition, et l’album, c’est la pièce avec son développement et son dénouement, créée en respectant la règle d’une ou de plusieurs unités.
Point n’est besoin de recourir à la poésie ; la vie fourmille de petits drames dont la création et l’achèvement permettront aux enfants de se réaliser.
L’unité peut être extérieure au texte et se constituer de malice, de naïveté, de finesse, de rigueur dans le raisonnement, de la beauté des notations poétiques, etc. (Relire à ce propos Le théâtre libre d’Élise Freinet, BENP n°34, janvier-février 1948)
Nous avons pensé aussi que les albums trop tristes pouvaient être dangereux. Il est utile de libérer un enfant, mais il ne faut pas traumatiser les autres.
Il faut savoir terminer par une fine note comique ou une grosse blague qui sera le coup de gomme qui effacera l’émotion et permettra à l’enfant de se retrouver debout, bien d’aplomb sur ses deux pieds. Nous croyons qu’il faut une happy-end.
Enfin, accessoirement, nous avons songé à l’utilisation des textes courts pour les livrets de lecture, qui sont, avec les textes libres imprimés, les livrets édités par la C.E.L., les albums d’enfants, les enfantines, les gerbes, des moyens de parvenir rapidement à la possession de l’outil de lecture (très important dans les pays à concurrence ou à exigences).
La lecture doit naître du milieu, milieu transcrit sous forme poétique, humoristique, documentaire, sensible, fantaisiste, burlesque, etc.
Le livret de lecture est une branche indispensable de l’Expression libre.
C’est un pont sur le fossé.
Paul Le Bohec
Article paru dans l’éducateur n°16-17, 15 mai-1er juin 1960, p.457-458