Navigation dans l'œuvre de Paul Le Bohec, pour une école réparatrice de destins
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Contre l’étude du milieu

Si l’étude du milieu sent le soufre de la scolastique, alors il faut être contre.
Si c’est un alibi, une fuite, une défense construite par l’éducateur pour faire face à ses trouilles antiques, alors il faut être contre.

Mais être présent à ce qui se passe, sans schéma, sans programme, sans fiche à suivre. Être disponible, réceptif. Avoir des vestibules sensoriels orientés vers l’extérieur et non des structures figées que l’on veut imposer. Ne pas être détenteur du savoir, de ce que l’enfant doit savoir.

Être présent à ce qui se passe.
Je suis présent à ce qui se passe dans mon milieu. Je vais vous parler de mon milieu.
Imaginez ma maison. Voyez son environnement sur 360°. Délaissez 270°de bois, prés, côtes, landes. Et ouvrez votre regard sur 90° seulement. Arrêtez-le seulement à cent mètres. Mais des vrais mètres à la longueur d’onde du cadmium et non des mètres métaphoriques qui valent des kilomètres. Je le précise pour qu’on sente la densité des cas dont j’ai à vous parler.

En commençant par la gauche, de 0° à 90°, on a :

– La mère de Ribouldingue, isolée dans sa maison, sans contact avec les gens. Elle vient de retourner à l’hôpital psychiatrique.
– À côté, le beau-frère de Bébert, qui voulait que sa femme soit championne olympique et qui l’a presque été. Mais dépression grave avant Mexico.
– La mère de Frédéric, habituée de cet hôpital.
– Un peu plus loin une dame inconnue qui marche en se retournant dans la rue.
– Un peu plus loin, la tante de Patrick qui s’en va de temps en temps.
– Mais avant, il y avait la mère d’Yvon qui est perdue depuis que ses enfants sont mariés et qui déambule dans les mêmes rues.
– Et la femme de mon copain de foot qui vient de mourir d’une maladie psychotique « virale » mais qui avait été si tôt orpheline.
Et encore je ne parle pas de la fille de ma voisine. Ni des habitants de la cour à côté : Chelik, Paulik, Cis et Jean-Marie. Et combien d’autres encore. Le voilà le milieu, mon milieu.

Alors ? Alors, il ne faut pas singer cette revue qui voulait traiter des problèmes de la Nation et de l’École et qui posait un éléphant de Nation (99%) à côté d’une alouette d’École (1%).

Il faut être, résolument, contre l’étude du milieu, si l’on oublie ce qu’il y a au milieu : l’enfant, l’homme.

Et il faut être contre les comptes rendus secs, froids, pleins de nombres et vides de sensibilité. Et ignorants de la totalité.

Des comptes rendus vécus, j’en ai vu où l’illustration dansait de fantaisie autour d’un texte qui n’en manquait pas. Des comptes rendus d’enfants !

Je puis vous en fournir un exemple.
Remontez la pente des « Art Enfantin » jusqu’au « Secret de l’eau souterraine (1) ». Et vous verrez l’enfant baigner dans son milieu.

Mais qui a lu ce texte, qui a eu le courage, qui n’a pas reculé devant ce qu’il supposait ? Qui s’est penché sur cette source ? Et même l’ayant vu, qui a pu comprendre que c’était la forme adéquate du compte rendu de la collision fortuite de l’enfant avec son monde d’air, d’eau, de voitures, de bétons, de personnes ou de personne. Et de télé.

O scolastique accrochée aux êtres figés dans le passé et qui, hors de leur milieu, marchent les yeux fermés sans voir ce qui se passe autour d’eux. Et en particulier cette montée de la folie qui a bien des causes et, pour commencer, une école pathogène qui dessèche les meilleures vérités.

Paul Le Bohec, 35 Saint-Gilles

Texte paru dans l’éducateur N°1, l’être et son milieu, 15 septembre 1971, p.5-6
Texte paru dans Coopération Pédagogique n°93, juillet 1997

(1) Le secret de l’eau souterraine, Art enfantin n°42, janvier-février1968