Navigation dans l'œuvre de Paul Le Bohec, pour une école réparatrice de destins
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Courrier des lecteurs (Le travail manuel)

Dans son compte rendu du livre « Le travail manuel de Gandhi à nos jours » (l’éducateur n° 18/19 du 15-6-73) Roger Lallemand insiste avec raison sur un aspect auquel nous ne prêtons pas assez attention. Certes, on ne manquera pas de crier à la récupération, à l‘asservissement au capital, à l’embrigadement, etc. Oui, nous crierons avec les crieurs. Et il le faut si souvent, tellement l’araignée est attentive au coin de sa toile.

Mais, entre nous, il faut que nous regardions en face cette question fondamentale.

Personnellement, elle me turlupine depuis un bout de temps. Et surtout depuis que je suis allé passer une semaine à Berlin-Est. Ne froncez pas les sourcils : ce fut, à tout le moins, un rappel utile.

J’ai actuellement tendance à déraisonner : j’irais facilement jusqu’à une heure de travail salarié par semaine, à l’école. Et il s’agirait d’un salaire individuel et même pas de rentrée d’argent pour la coopérative.

Vous le voyez, je divague. Mais une chose est certaine : l’école actuelle est en dehors de la vie. Elle n’est en aucune façon reliée à l’activité de la plupart des hommes. Elle ne fait pas de place à l’activité manuelle. Et de ce fait l’Université ne fait pas de place aux travailleurs manuels. Elle se veut en dehors, ce qui veut dire au-dessus. Et les travailleurs se sentent à l’écart, en-dessous.

Nous ne pouvons l’accepter.

Actuellement, si vous dites à des parents que leur enfant est extraordinairement doué pour le bricolage, qu’il est adroit, inventif... ils s’inquiètent au lieu de se réjouir. Est-ce que son don ne va pas le fourrer dans la filière de la production ? Est-ce qu’il n’est pas d’ores et déjà condamné à rester à l’étage inférieur ?

Présentement, il y a comme une sorte de redécouverte du travail manuel équilibrant. C’est ce que sentent beaucoup de marginaux qui préfèrent peiner dans des circuits de survie plutôt que risquer la folie à force de tâches répétitives de bureau ou d’enseignement.

Ce qui a fait l’homme c’est la main, la grégarité des singes et le langage. Or notre société déshumanisante a aliéné l’homme sur ce triple plan de l’activité manuelle, de la vie en groupe et de la communication.

Il faut revenir à de plus saines conceptions. Cela est en train de se faire. Il y a un extraordinaire développement des fêtes collectives, dans l’Ouest tout au moins, des activités manuelles dans les M.J. Seule la communication reste sur place.

Mais à l’école, il faut que cela se fasse aussi. Que faire ? Déjà dans de nombreuses classes, il y a une production : le journal scolaire. C’est une activité centrale de base riche de questions et de prolongements sur le monde (comme le filage de Gandhi). Il y a des possibilités pour ceux qui se sentent tentés par le journal rendu aux enfants, cher à Jean-Pierre Lignon.

Cet été, je l’ai rencontré par hasard chez Goureau (Dollot-Jeunesse). Et j’ai été impressionné par la machine professionnelle que ce dernier a eue pour 100 F. C’est du sérieux.

Mais il faudrait que dans leur trajectoire scolaire, les enfants puissent accéder également à des métiers où il y a une matière à dominer : cuir, fer, carton, laine... Comment l’organiser : peut-être par le biais de l’art enfantin (tissage).

Et il y a le jardinage, l’élevage...

La question doit être posée, il faut que nous redevenions freinétistes. Qui a des expériences ?

Paul Le Bohec

Article paru dans l’éducateur n°2, courrier des lecteurs, 1er octobre 1973, p.31