Navigation dans l'œuvre de Paul Le Bohec, pour une école réparatrice de destins
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Courrier des lecteurs (à propos d’autogestion)

L’article de Michel Dion (1) pose deux problèmes intéressants :

1) « L’autogestion étant la prise en charge de soi-même en tant qu’individu et dans la relation du groupe, encore faut-il être déjà soi-même. »

C’est un problème qui m’a longtemps tourmenté. Et c’est à peine si j’y vois un peu plus clair maintenant. Actuellement, surtout avec les jeunes enfants, j’aurais tendance à croire qu’il faut d’abord que l’enfant puisse se décompresser par le moyen des expressions libres. Après, semble-t-il, il peut mieux trouver sa place dans le groupe et il peut mieux prendre sa part de l’organisation.

Au niveau de nos étudiants, nous commençons à penser que la première année est le moment de la libération des forces créatrices. Et celui de la réflexion personnelle et collective sur les conditionnements multiples qui ont ligoté chacun. La deuxième année étant alors le moment de la créativité au niveau du groupe et de son organisation autogestionnelle. Quand on s’est vu un peu soi, on peut mieux voir et recevoir les autres. Et le groupe.

C’est important sur le plan politique. Faudra-t-il une phase transitoire, précisément de déconditionnement et d’apprentissage expérimental de la liberté ?

2)  Des étapes vers l’autogestion :
« 1. défoulement ; 2. temps de recherche ; 3. temps de création. »

Maintenant que dans de très nombreuses classes on a vu apparaître des matériaux d’expression nouveaux, l’école moderne pourrait peut-être faire le point au sujet du comportement des enfants dans les nouvelles situations d’expression. Ceci parce qu’il nous faut bien fabriquer à notre usage un fil conducteur pour progresser dans cette pédagogie de totalité où nous sommes presque les seuls à avoir mis les pieds.

1. À la place de défoulement, je dirais plutôt : « prise de possession anarchique du matériau. »
C’est vrai qu’il y a souvent un défoulement, une ivresse capiteuse face à toutes les possibilités qu’offrent les bruits, les sons, la terre, les couleurs... Mais est-ce que l’enfant ne cherche pas plutôt dans ce premier temps à étreindre avec frénésie tout ce qu’il peut apercevoir par les cinq lucarnes de la tour. Et il n’est pas seul : cela se fait dans l’excitation, parmi les effervescences des autres camarades.

2. Temps de recherche
Alors, après, il y a une sorte d’apaisement. Chacun a découvert le secteur qui lui convient plus particulièrement. Ou du moins qui lui paraît pour l’instant le plus intéressant à explorer. C’est alors une investigation plus méthodique, dépassionnée, une recherche individuelle dans un secteur limité.

3. Temps de création
À force d’accumuler des expériences, l’enfant peut se servir de ses trouvailles pour s’exprimer. (Ce qu’a fait Rémi : il s’est d’abord donné des exercices structuraux puis il a accédé à l’expression profonde.)

4. Temps de socialisation
Qui a peut-être été toujours sous-jacent mais qui doit prendre plus d’importance à ce moment-là. L’enfant a besoin de communiquer aux autres. Mais aussi l’enfant peut et veut créer en groupe, avec les autres. Et là, il faut bien une organisation pour que chacun puisse trouver toute sa place sans étouffer les partenaires.

5. Temps d’autogestion
Où chaque groupe de création (ou de réalisation) doit pouvoir trouver sa place de recherche et d’expression dans l’ensemble de la classe.
Mais rien n’est moins sûr. Il ne faut pas se laisser aveugler par nos petites constructions mais regarder la réalité réelle.

Est-ce vraiment comme ça ?

 

(1)  Michel Dion, Une pédagogie de relations, éducateur n°18-19, juin 1973, p.39-43.

Paul Le Bohec

Article paru dans l’éducateur n°1, le courrier des lecteurs, 15 sept 1973, p.31