La grille de Paul Le Bohec appliquée à l’apprentissage de l’espéranto
Échange entre Paul Le Bohec, Denise Poisson et quelques camarades de la commission « espéranto »
PLB – Nos articles voisinant intentionnellement dans L’Éducateur n°8, je me paie la fantaisie de proposer une critique de parole pour le problème « tâtonnement et espéranto ». Peut-être que ça sera utile, si ma parole est juste. Même si elle est fausse, elle servira à consolider la vôtre, ne serait-ce que par opposition.
DP – J’ai relu tes différents articles sur le ski et il me semble que ta théorie qui, à première lecture, m’avait paru juste (mais je n’ai jamais fait de ski), est maintenant pour moi beaucoup plus parlante, s’appuyant sur un apprentissage que j’ai vécu, que je vis encore étant en espéranto une élève qui n’avance qu’à petits pas.
Plusieurs facteurs m’ont amenée à analyser mes propres tâtonnements en espéranto :
1. J’étais entièrement « neuve » à cet apprentissage.
2. Venant juste d’être à la retraite, j’avais encore présents à l’esprit tous les comportements linguistiques de mes petits de CE1 que je venais de quitter après seize ans.
3. Était également présent en moi, car récent, le travail que nous avions fait sur l’acquisition du langage chez Yannick (enregistrements jusque vers trois ans).
4. Je continuais de m’intéresser à tout ce qui avait rapport au langage (Laurence Lentin, séminaires Genouvrier à la fac...).
5. J’observais par plaisir personnel les tâtonnements de nos quatre petits enfants dans leurs diverses acquisitions : corporelles, linguistiques, intellectuelles, etc. (ce qui me conduisait parfois à des comparaisons avec moi-même.)
DP – Reprenons ton graphique et ton analyse sur l’apprentissage de l’espéranto.
Situation
Il faut en effet se trouver dans certaines conditions pour être amené à prendre une décision. Pour moi, c’est au Danemark, devant la longueur et la fatigue causée par les traductions (français – anglais – danois et retour), que j’ai compris l’utilité d’une langue commune, accessible même à des gens peu doués pour l’étude des langues.
Décision
Dès octobre suivant, je suivais les cours du club espérantiste de Tours.
Situation et décision se rejoignent dans le seul mot MOTIVATION : point de départ indispensable.
Pierre Fort remarque : « Tous nos élèves adultes qui étaient motivés ont continué l’étude de l’espéranto, certains allant même plus loin que nous. Par contre, ceux qui ont simplement voulu voir ce que c’était ont abandonné. »
Les camarades qui, depuis quelques années, se mettent à l’étude de la langue internationale sont en majorité des participants aux R.I.D.E.F. dont la MOTIVATION est :
– ÉCHANGER facilement avec des étrangers,
– mais aussi PÉNÉTRER plus profondément la VIE d’un peuple.
Être l’objet
Les camarades Freinet qui, en 76 ont, faute de mieux, subi des cours traditionnels, l’ont fort mal accepté.
« Si je dois passer dix jours à suivre un bouquin et répondre aux questions ! se disait J. B... Je mesurais alors l’ennui que mes petits CP devaient ressentir, à mes débuts, quand je leur imposais un livre de lecture qui n’avait rien de commun avec leur vie. »
D’où les réactions à la recherche de méthodes en accord avec nos conceptions pédagogiques.
Être le sujet
Même les bûcheurs (il en existe quelques-uns) se lassent de travailler SEULS. Ils ont besoin de COMMUNIQUER et en réclament les moyens : relations écrites, rencontres...
D’où, après Plock, tous ceux qui avaient connu la JOIE de SE COMPRENDRE avec les Polonais, conscients cependant de l’insuffisance de leurs connaissances, pour des échanges plus approfondis, ONT DÉSIRÉ poursuivre leur apprentissage.
Les cahiers de roulement sont nés pour répondre à ce désir. Le BESOIN crée l’OUTIL. Ils comprennent cinq participants dont un BON espérantiste qui a pour rôle de corriger et d’expliquer les fautes des autres. Liberté totale d’expression. Chacun y écrit « ce qu’il veut » dans la mesure de ses possibilités linguistiques.
LOI TROUVÉE plutôt que LOI DONNÉE
PLB – Le problème est donc qu’un individu puisse peu à peu intégrer un mode de communication sociale. Et à notre avis, cela ne peut se faire vraiment que s’il dispose de la LOI TROUVÉE plutôt que de la LOI DONNÉE, qui reste plaquée de l’extérieur et n’est pas intégrée.
On peut reprendre le schéma de mon article pour caractériser les étapes du savoir.
On peut : LIRE (1) une méthode d’apprentissage d’espéranto. Mais on peut : ENTENDRE (2) de l’espéranto (méthode Cseh), c’est des gens.
Mieux encore : on peut parler espéranto (méthode Cseh), c’est-à-dire FAIRE (3), même s’il faut accepter une directivité. Enfin, le fin du fin, on peut INVENTER (4) l’espéranto ou le réinventer. D’abord abstraitement pour soi, en toute autonomie. Puis, peu à peu, en intégrant les conventions, les codes de cette langue, puisqu’il s’agit d’un langage, donc d’un fait social. Si on réussit à se placer dans cette réinvention en milieu « critique », on aura alors besoin de 1. lire ; 2. d’entendre ; 3. de faire ; 4. de réinventer, etc. Et c’est une spirale sans fin.
DP – C’est exactement le SENS de notre recherche, Pierre Fort écrit : « Nos élèves ont tout de suite fait les mêmes remarques que P. Le Bohec : tous ces mots finissent par o et sont des noms, donc la terminaison o indique un nom. Mêmes remarques par la suite avec in, ist, ant, il... »
Il n’est pas possible à un gvidanto (guide), qui a pratiqué pendant des années la pédagogie Freinet, de faire un cours traditionnel. Malgré l’utilisation d’une méthode (livre ou méthode directe), dès qu’il y a découverte par un élève, il se hâte d’en favoriser, d’en stimuler d’autres dans le groupe.
Il sait accepter les suggestions d’élèves : « Des remarques de mes élèves m’ont incitée à introduire les cassettes du cours de Pettyn (Varsovie) pour qu’elles entendent une autre voix que la mienne. » Louise M.
AUCUN des STADES n’est NÉGLIGEABLE ni NÉFASTE
PLB – L’important, c’est de ne pas oublier qu’au centre de son apprentissage, il y a l’individu avec toutes ses caractéristiques personnelles. Certains sont plus portés à :
– L’étude objective (étude des lois, comment ça fonctionne) ;
– L’étude subjective (les plaisirs sensuels de l’accent tonique, la dégustation des mots) ;
– La communication (parler espéranto pour pouvoir parler de soi, de ce que l’on est, de ce que l’on fait, de ce que l’on croit, et pour entendre et comprendre les autres) ;
– La projection : certains sont d’abord sensibles à tout ce qui est féminin et saisiront facilement le suffixe IN. D’autres retiendront le AR, signe du collectif. Des individualistes retiendront le singulatif ER, etc.
DP – Absolument d’accord et nous en sommes d’autant plus conscients que depuis quelques années un assez grand nombre de camarades d’âges divers se mettent à l’étude de l’espéranto et disent leurs besoins, leurs difficultés, ce qu’ils trouvent bien, mal, etc.
Si le BUT essentiel pour la plupart est d’atteindre – et cela le plus rapidement possible – à la COMMUNICATION DIRECTE avec des étrangers, nous constatons une très grande diversité des BESOINS. Ce qu’il faudrait c’est, comme dans la classe, pouvoir offrir un certain nombre de TECHNIQUES diverses et des OUTILS appropriés à chacun d’eux. Chacun s’accroche à celle qui lui convient à telle période de son apprentissage. Il s’accrochera à une autre, à une autre période selon qu’il sera mûr pour s’y intéresser. L’ordre n’est pas forcément le même pour tous.
En réalité il y a toujours plus ou moins chevauchement : on écoute, on s’imprègne, on parle plus ou moins, on écrit, on réinvente, mais aussi on cherche pourquoi (grammaire), tout cela simultanément, à des degrés qui varient selon les besoins de chacun aux différents stades de son avancement.
Certains peuvent vouloir d’abord l’expression orale, d’autres l’expression écrite.
Toutefois on se rend compte que les adultes est-ce déformation scolaire ? – bien que « désirant » parler dès le début, demandent également le soutien visuel de l’écrit. Peut-être les jeunes seraient-ils plus aptes à un démarrage auditif plus poussé ? C’est à voir.
L’APPORT du GROUPE
PLB – Et s’ils fonctionnent dans un groupe de recherche, leurs défauts deviennent des qualités : celui qui veut comprendre le mécanisme poussera le groupe dans cette direction. Un blagueur détendra le groupe, un farfelu appliquera la régie à des noms propres : « Poisson, Poissonino, Poisonnido », ce qui permettra de l’assimiler dans le rire.
DP – Oui, nous avons suffisamment vérifié son importance dans nos classes, pour ne pas le négliger ici. L’aide du groupe est aussi importante que son accueil, cependant il y a interaction entre l’individu et le groupe. Chacun doit faire une partie du chemin pour aller l’un vers l’autre.
À Artigues, les sous-groupes d’apprentissage ont tâtonné vers la recherche de techniques, un tâtonnement pratique, sur le tas, vivant ; le plus apte, sans doute, à faire avancer les choses vers une solution acceptable. Pas une solution « définitive », car cet adjectif apporte une notion de non-continuité, génératrice de sclérose, qui arrêterait toute évolution.
Par contre, l’ensemble du groupe a tout naturellement VÉCU l’organisation de tout groupe Freinet. Si bien qu’à la fin de la rencontre les Suédois nous ont dit :
« La pédagogie Freinet, maintenant nous l’avons comprise, car ici nous l’avons vécue. »
Je pense d’ailleurs que dans ton analyse, bien que ce soit partout sous-jacent, tu ne mets pas assez en relief la VIE. Il ne peut y avoir de tâtonnement expérimental dans un milieu qui ne laisse pas libre cours à la vie.
– La VIE, c’est pour moi le mot-clé de la pédagogie Freinet ;
– VIVRE avec les enfants dans sa classe en acceptant ce qu’ils apportent, en les suivant dans leurs découvertes ;
– VIVRE aussi dans un groupe d’adultes en y apportant sa participation, ses recherches, ses erreurs...
L’AFFECTIVITÉ
PLB – Dans le groupe, il y a aussi l’affectif qui est la source profonde de la mémorisation. C’est le Suédois qui a découvert la loi des noms d’habitants d’un pays, c’est la petite Strasbourgeoise brune et silencieuse qui a permis la fixation d’un mot en s’exclamant parce qu’elle le reconnaissait, etc.
DP – L’AFFECTIVITÉ, si importante dans la pédagogie Freinet, n’est-elle pas l’un des besoins fondamentaux de l’homme ?
C’est d’ailleurs pourquoi nous pensons que le texte libre peut être une technique aussi bonne avec des adultes qu’avec des enfants.
« C’est très enrichissant non seulement du point de vue langue, mais aussi dans la connaissance réciproque » écrit Louise M.
« Quel plaisir nous avions quand nous lisions nos textes libres, l’année où notre club correspondait avec Fontaine-les-Grès. » (Paul P.)
Avec des enfants de CM1-2 de Troyes (une heure par semaine), nos amis Fort racontent : « L’enthousiasme était maintenu par la correspondance avec des enfants italiens (Chiavari), hongrois (Budapest), allemands (Peine), polonais (Umiastow). L’arrivée de colis, de lettres collectives et individuelles était un moment de grande joie. Le voyage à Chiavari fut formidable et inoubliable. »
Et pourquoi les cahiers de roulement ont-ils eu tant de succès à l’encontre des autres techniques pour lesquelles chacun « manque toujours de temps » ?
Vraisemblablement à cause de la RELATION qui s’établissait entre les participants, des LIENS AFFECTIFS qui, s’ils n’existaient pas déjà entre eux, se créaient au travers du cahier.
Au passage du cahier, même si on a peu de temps, on « a envie » de lire ce qu’ont écrit les autres, d’avoir de leurs nouvelles. Alors « on a envie » de répondre. Même si ce qu’on y écrit est court, on a eu du PLAISIR à lire, du PLAISIR à écrire. Le PLAISIR de la COMMUNICATION.
Le TEXTE LIBRE
PLB – Mais le texte libre de Gente, c’est bien aussi.
À mon avis, chaque texte libre devrait être individuellement corrigé et recopié deux fois et conservé.
Et il y aurait te texte libre de la classe qui permettrait au groupe de fonctionner. Et à chacun de fonctionner suivant sa nature : l’analyste excessif, l’extenseur abusif, le nominateur ont leur place : leurs maladies deviennent facteur de santé du groupe. Et le texte du jour serait affiché au mur, ce serait la référence inscrite dans l’espace, dans la couleur, dans l’affectivité, dans la forme, dans le sens, tous facteurs de mémorisation.
DP – Le texte libre doit pouvoir s’utiliser très tôt, dès que l’élève possède quelques structures simples. Texte très court, comme au CP, une phrase qui devient phrase « référence ». Corriger individuellement le texte de chacun et qu’il le recopie, comme cela s’est fait en classe serait sûrement bon aussi. La correction de ses propres erreurs laisse une trace, plus forte encore si le texte avait une résonance affective. La recopier imprime dans la mémoire la bonne expression. Mais cela dépend du temps dont on dispose.
Une langue doit être PARLÉE
PLB – Mais une langue doit être parlée plus qu’écrite. On pourrait séparer les deux. À mes yeux, la encore c’est un excès : tout oral ou tout écrit, ce sont les limites à droite et à gauche, c’est entre les deux que ça doit se passer. L’écrit apporte peut-être la dimension structurale de la totalité, l’oral apportant la globalité, la vie. Mais les deux sont en relation dialectique.
DP – Nous nous trouvons cette année face à une grande diversité de DÉSIRS des camarades. Il y a :
– Des débutants : pour chacun d’eux nous avons trouvé un camarade prof qui l’aide, le soutient, le stimule dans son étude par correspondance avec livre et cassette ou disque ;
– Ceux qui se débrouillent plus ou moins bien par écrit et qui ne veulent pas rester isolés, qui veulent S’EXPRIMER, COMMUNIQUER : les cahiers de roulement répondent à leurs besoins ;
– Ceux qui, maintenant, écrivent facilement plusieurs pages presque sans faute, mais restent « bloqués » quand il s’agit de parler. Pour eux, actuellement, nous cherchons à mettre sur pied des circuits-cassettes de 4 ou 5 volontaires où chacun parlerait.
Donc, échange ORAL :
– Écouter les autres = comprendre, s’imprégner auditivement ;
– Parler aux autres = se faire comprendre.
Nous en sommes ici aux tout premiers tâtonnements.
Pour la plupart d’entre nous, notre début d’apprentissage a été trop ÉCRIT. Nous ne nous sommes pas, dès le début, suffisamment exprimés ORALEMENT. Pour ceux qui commencent maintenant, nous voudrions faire un effort plus grand vers l’ORAL. Il s’agit, comme au CP, d’acquérir des formes, des structures simples, courantes, qui deviennent des mécanismes (cf. L. Lentin) et ne pas rester bouche bée quand quel qu’un vous dit : « Kiel vi fartas ? »
Plonger dans le BAIN AUDITIF serait le meilleur – c’est le cas de l’enfant, mais l’adulte veut aller plus vite –. Pourtant, c’est fou ce que les uns et les autres nous faisons comme progrès quand nous sommes seulement quelques jours avec un espérantiste étranger (visites, voyages, rencontres, congrès...).
Là, il faut bien faire effort, « se jeter à l’eau », se débrouiller, quitte à y joindre la mimique. Tant pis si on fait des fautes. On a quelque chose à dire, on l’exprime sans trop se soucier de la correction de la phrase. Si elle est comprise, c’est un encouragement. Si elle ne l’est pas, on y change un mot, on la remplace par une autre... et l’interlocuteur, toujours attentif, vous aide à l’exprimer clairement, correctement, comme la maman avec son bébé, comme le maître dans la classe.
Huguette nous donne quelques impressions personnelles :
« Je me rends compte actuellement que, dans mon inconscient, j’avais enregistré des phrases qui revenaient souvent à Karl Marx Stadt, chez les correspondants de Henri, à Plock avec Euzèbiusz, avec les amis de la post-R.I.D.E.F., alors que je ne parlais pas et n’y avais pas sur le moment fait attention, maintenant je les perçois et les situe. »
« L’essentiel de mon vocabulaire actuel, je l’ai retenu grâce à des points de repères VÉCUS, tout spécialement pendant le récent séjour de Jeannette Sidorak (Polonaise). Maintenant, chaque fois que je cherche un mot ou une tournure de phrase, ce sont des « photos » qui se présentent à moi pour m’aider à me souvenir. »
Une méthode NATURELLE de l’espéranto
PLB – Cela demande du temps évidemment. Dans un stage, ça peut s’accélérer parce qu’il y a l’ambiance. La pratique de la méthode naturelle d’espéranto serait facile dans une classe, à doses homéopathiques.
DP – Nous n’en connaissons que quelques cas, mais ils sont probants. Ce sont des enfants d’espérantistes de nationalités différentes qui, s’étant connus dans des rencontres espérantistes, se sont mariés et parlent entre eux l’espéranto, en même temps que la langue du pays où ils vivent, comme, il n’y a pas encore si longtemps, un petit Breton ou un petit Occitan apprenait simultanément sa langue maternelle et le français.
La méthode CSEH
PLB – Oralement, on peut aussi construire sa langue, dans un environnement sain.
On peut raconter une histoire personnelle à partir de ce que l’on est (puisque c’est soi qu’on aura à communiquer !). Le prof traduit en espéranto.
Au bout de quatre fois, on essaie de parler en espéranto, même à 95 % de français. Quand on hésite, le prof fournit le mot rapidement. « Chez moi, esta hundoj, ch... prof : kato. anseroj, ktp. » Peu à peu, ça s’installerait. On pourrait alors aborder la méthode CSEH qui apparaîtrait moins artificielle, moins plaquée. On pourrait accepter sa directivité parce qu’on serait un sujet, en marche, en ouverture.
DP – En ce qui concerne cette méthode qui nous a été présentée l’an dernier d’une façon directive, parce qu’avec un trop grand souci d’efficacité malgré un temps restreint, nous sommes persuadés qu’il y a là une voie intéressante à- explorer.
Louise Marin, la seule parmi nous qui connaisse bien cette méthode, puisque c’est de cette façon qu’elle a appris l’espéranto, nous dit :
« La méthode Cseh d’enseignement de l’espéranto est née à la même époque que la pédagogie Freinet. Cseh était, comme Freinet, un praticien. Si Freinet, blessé au poumon a dû chercher des moyens d’enseigner en parlant le moins possible, Cseh a eu à résoudre un autre problème : enseigner l’espéranto à des personnes de langues nationales différentes (donc ne se comprenant pas) et de niveaux culturels élémentaires. Cela l’a obligé à n’employer QUE l’espéranto et à ne jamais faire un cours GRAMMATICAL. »
Enseigner une langue SANS FAIRE de GRAMMAIRE, voilà de quoi réjouir des pédagogues Freinet ? D’autant plus que cette méthode DIRECTE oblige dès le début à PARLER mais aussi à PENSER DIRECTEMENT dans la langue et cela est FONDAMENTAL dans toute étude de langue.
Il y a certainement possibilité de rendre cette méthode DIRECTE plus proche de la VIE, d’y favoriser très tôt la découverte et la liberté d’expression. Nous avons là encore matière à recherche pour rénover, adapter cet OUTIL au service de l’expression libre et du tâtonnement expérimental.
ASSIMILER dans le PLAISIR
PLB – On ne peut assimiler que dans la détente, dans le rire, en faisant sa place à l’irrationnel (50 %). Pour travailler sérieusement, faut pas travailler sérieusement. C’est ça l’hygiène de l’esprit.
DP – La notion de PLAISIR est en effet indispensable à tout apprentissage valable, efficace, durable. Il est certain que le meilleur apprentissage, celui qui laisse les traces les plus profondes, est celui qui se fait dans la JOIE, la détente. Combien de fois n’avons-nous pas vérifié en classe que des enfants qui avaient généralement beaucoup de difficultés, avaient cependant retenu des notions assez difficiles parce que, ce jour-là, la découverte était venue d’une situation de rire, sans effort.
Huguette raconte : « J’avais pourtant souvent eu l’occasion de voir le mot « hundo » (chien), mais je ne m’en souvenais jamais. Le jour où André est entré dans le jeu d’Hélène, à quatre pattes en aboyant, là je l’ai fixé immédiatement, et je pense, définitivement. »
En fait, il apparaît que l’apprentissage de l’espéranto tel que nous le concevons dans la commission, devrait favoriser les tâtonnements individuels puisque :
– Ne viennent à cette étude que des VOLONTAIRES MOTIVÉS ;
– Chacun travaille à son rythme, selon ses possibilités linguistiques et le temps dont il dispose ;
– Pour son perfectionnement, chacun choisit librement la technique ou l’outil qui lui semble correspondre à ses besoins ;
– Les stages ICEM-espéranto et les rencontres internationales apportent aux participants le bain de langage mais leur laisse totale liberté.
Si bien que l’apprentissage n’est pas vécu comme une contrainte, mais comme un PLAISIR.
En s’inspirant du graphique de Le Bohec, Hélène Gente a réalisé celui-ci à propos de l’apprentissage des langues par sa fille Mireille :
PLB – Que chacun, comme Hélène, se construise des grilles personnelles « évolutives », c’est le meilleur moyen de comprendre et d’avancer, et qu’il essaie d’appliquer à autre chose la grille qu’il a construite pour aller vers une plus grande généralisation. Ne pas se laisser lier par la forme initiale.
Dans la recherche d’Hélène, c’est peut-être la spirale qui conviendrait le mieux : effort → récompense.
De toute façon, qu’on avance. On ne peut pas savoir par avance sur quoi on débouchera... qui sera certainement différent de ma recherche ou qui développera un aspect trop rapidement analysé.
Ce qui me réjouit, c’est qu’il y a eu déclic : elle s’est mise en marche. Pour elle aussi, il y a eu SITUATION (l’expérience de l’apprentissage de sa fille) et DÉCISION : construire sa grille de compréhension.
Paul Le Bohec et Denise Poisson
Texte paru dans l’éducateur n°3, novembre 1978, p.32-36