Le principe essentiel de la Formation Continue, c’est de répondre à la demande des travailleurs. Mais cette demande est-elle claire ? Les travailleurs ont-ils suffisamment d’informations sur ce qu’ils pourraient trouver pour avoir une réelle liberté de choix ?
À Rennes, la Formation Continue, en panne d’intervenants, me demande d’assurer un stage de trente neuf heures sur le thème « Expression écrite, expression orale ». Je sens, dès le départ, que le malentendu est fondamental : « Ils » veulent travailler au niveau de la forme. Et moi, je veux travailler au niveau du fond. On convient tout de même de s’embarquer pour quatre semaines (sur treize). La Formation Continue procédera à une évaluation par les travailleurs pour savoir s’ils veulent continuer (c’est moi qui demande des délais courts d’évaluation).
Je démarre par un truc habituel de création collective. Les travailleurs se laissent surprendre : ils rient. Puis les résistances apparaissent. J’en profite pour faire discuter par écrit et oralement sur le thème des « gros mots ». Par la suite, je fais entendre des documents d’enfants enregistrés, puis je montre des séries de dessins d’enfants.
À l’évaluation :
Premier groupe :
Tu nous as bousculés. Continue. (D’emblée, j’ai imposé le tutoiement).
Deuxième groupe :
Bon, on s’embarque encore pour quatre semaines.
– Non, je préfère trois semaines car je veux qu’il vous reste assez de temps pour faire de la grammaire et de l’orthographe avec un autre intervenant.
Alors on consacre une séance à l’introduction à la musique classique, avec des apports des uns et des autres. Une autre à la peinture avec expression des choix des uns et des autres. Et c’est parti : on ira jusqu’au bout des treize semaines : poésie d’enfants – poésie d’adultes, « notre » poésie – visite du musée et j’espère : poursuite de la création écrite et orale.
À la septième séance, les résistances ont disparu, les gens se sont rapprochés. Déjà ils s’ouvrent. Dès le début, ils ont adopté une autre attitude vis-à-vis de la parole de leurs enfants, ils acceptent tous leurs dessins. Ils réfléchissent aux problèmes de l’école, des jeunes, de leur métier, du monde. Ils se sont ouverts aux relations, ils écoutent, ils acceptent de parler sur leur vraie parole et non plus sur une parole neutralisée (le travail c’est la santé, Persil lave plus blanc, etc.).
Sur le plan de l’oral, je n’ai rien à leur apprendre, ils parlent mieux que moi, sur le plan formel. Il faut qu’ils aillent plus près d’eux-mêmes. Ça vient. Si j’avais accepté la demande sur la forme de l’expression, on n’en serait pas arrivé là. D’ailleurs, l’année précédente, au bout de trois séances, des travailleurs avaient refusé les exercices d’orthographe et de grammaire. Et l’intervenant avait dû se débrouiller avec des exercices oraux.
Maintenant, le groupe se moque bien de la correction formelle.
Alors posons-nous la question. Faut-il répondre à la demande des travailleurs ? Oui, bien sûr, mais comme pour les enfants, après information véritable après avoir vraiment goûté. Alors, ils sont libres de choisir ce qu’ils veulent.
Six mois après : ils m’ont invité et ils m’ont dit ce qu’ils voudraient : non pas recommencer mais commencer vraiment parce que, maintenant, ils sont prêts.
Après la conformation, la déformation continue ?
Paul Le Bohec
Texte paru dans l’éducateur n°9, mai 1979, p.35