Navigation dans l'œuvre de Paul Le Bohec, pour une école réparatrice de destins
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Courrier des lecteurs (La culture de classe)

La culture de classe
On connaît – on devrait connaître – le rôle capital du groupe pour l’acquisition et la fixation des connaissances. Dans la classe à plusieurs cours, il y a ouverture de la culture parce que, dans ce type de classe, existent un savoir accumulé, une maîtrise plus accomplie des langages, une transmission des pratiques par les aînés, par les frères et sœurs qui y sont passés. Car la classe a une unité, des habitudes de production, de réalisations, elle a une existence durable.

Aspiration
Dans une classe à deux (trois) cours, les petits sont comme aspirés par les grands qui ne se trouvent qu’à un seul pas en avant. Et, au contact des petits, certains grands ont l’occasion de faire des révisions, des reconsolidations. L’année suivante, les anciens grands redeviennent des petits dans la nouvelle classe et ils se trouvent à nouveau en situation d’aspiration.

Le temps agrandi
Dans une classe à plusieurs cours, ce n’est plus l’usine, le stress. Songez à un CP « pur » de 25 élèves : une vraie usine à lecture.
Si la moitié seulement de la classe se trouve dans cet apprentissage d’écrilecture, il sera plus facile à assurer car, plus que tout autre apprentissage, il requiert un suivi individuel. Dans ces conditions, les CE1 ayant atteint un certain degré d’autonomie, tous les débutants pourront y recevoir leur juste part de l’attention du maître. C’est fondamental pour le reste de la scolarité.
Les enfants sont à des degrés différents de maturité. Pour chacun, les choses peuvent venir à leur heure. C’est généralement au cours du premier trimestre de CE1 qu’elles se mettent tranquillement en place. Sans qu’on ait pu, à aucun moment, ressentir l’angoisse de l’obligation de résultat de la fin du CP.

Transmission
On peut évidemment parler de la transmission rapide des habitudes d’organisation et de travail.
Mais je voudrais insister sur un autre aspect : la transmission de l’esprit, la perpétuation de l’ambiance, la maintenance de l’atmosphère. Des attitudes d’écoute, d’accueil, de réflexion, de discussion, de recherche, de partage, de responsabilité peuvent ainsi se reporter d’année en année.
Ce qui conduit à la libération de la puissance créatrice des enfants, ce sont des années successives de liberté d’initiatives. Quand les petits arrivent dans la nouvelle classe, ils trouvent une atmosphère telle qu’ils peuvent immédiatement exercer tout leur pouvoir d’expression, de création, d’expérimentation, de recherche.

Le rôle de l’école
C’est de permettre à chacun de repérer et de connaître les structures qui régissent le monde extérieur. Mais comment pourra-t-il parvenir à cette maîtrise, à cette connaissance s’il est oppressé par son monde intérieur ?
L’école dispose d’un atout fondamental : elle peut offrir l’expression. Mais pour que l’être se trouve suffisamment rassuré, pour qu’il puisse oser s’aventurer sur le chemin de l’expression, de la destruction symbolique, il lui faut un très long temps de rassurance. Au bout de deux, trois années de vérification de la sécurité, il peut même aller jusqu’à se libérer de certains problèmes, à la condition que l’enseignant se garde bien de jouer au psychothérapeute et se contente seulement d’offrir les conditions d’expression nécessaires.

Alors, interdire la classe à cours unique !

On peut avoir aussi d’autres préoccupations pour le présent et l’avenir des enfants. Par exemple, celle d’une écologie de l’éducation. Il faut se mobiliser pour se révolter contre les mauvaises conditions de vie que cette société impose aux êtres humains. Et n’est-ce pas dans l’enfance que s’édifient, pour l’essentiel, les éléments de base de toute une vie ?

Paul Le Bohec

Texte paru dans le nouvel éducateur n°95, rubrique courrier, janvier 1998, p.31
Réaction au dossier sur les classes à cours multiples du nouvel éducateur n°94 de décembre 1997