Paul Le Bohec, dans « Rémi à la conquête du langage écrit » (Éditions Odilon), relate son expérience en CP-CE1 et plaide en faveur d’un apprentissage de l’écriture qui serait exclusivement basé sur l’imprégnation.
L’orthographe de beaucoup d’élèves, même « Freinet », est particulièrement délabrée. J’ai l’impression qu’on n’a pas fait tout ce qu’il fallait au bon moment. Pour engager les enfants dans le couloir d’une bonne orthographe, il faut s’en préoccuper dès le début de l’entrée en lecture (CP).
Voici l’exposé d’une pratique efficace : chaque matin, l’enfant écrit son texte personnel, à la main. Le maître corrige sur-le-champ puis l’enfant le recopie soigneusement sur son cahier et il l’illustre. Il recopie également le texte choisi ce jour-là par la classe et la « chasse aux mots » qui a suivi sa mise au point collective.
Comment en est-on arrivé à travailler de cette façon ?
Contrairement à beaucoup de langues, la langue française a pour caractéristique principale d’être bâtie sur l’orthographe. Malheureusement, celle-ci n’est pas construite sur la rationalité. Elle ne peut donc être assimilée qu’à la suite d’une très longue imprégnation. Pour que les enfants vivent dans un bain d’orthographe « saine » au quotidien, on affiche au mur le texte du jour. Cela constitue un répertoire de formes correctes insérées dans un riche complexe d’idées, de situations, de couleurs, de poésie, d’affectivité... Or, on sait que la mémoire est liée à l’affectivité au niveau du système limbique (second cerveau). C’est pourquoi on commence par construire sur les textes de l’enfant et ceux de ses copains. L’assimilation est ainsi favorisée par le fait qu’il s’agit de leur vie. Et comme l’ouverture sur le monde est encore assez réduite, les mêmes mots reviennent : « ma mère, mon père, ma petite sœur, mon chien, mes parents, mes frères, mes copains, j’ai joué, je vais jouer, nous avons gagné, nous les avons battus, je suis allé, nous sommes allés, il y a... » Tout cela constitue une solide première tête de pont. Attention, il ne faut pas oublier que la forme n’est qu’un aspect de l’expression. Il s’agit essentiellement d’aider l’enfant à construire sa pensée, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, avec l’aide d’un groupe positif et en fonction de ses rapports de plus en plus élargis avec les trois mondes (physique, humain, idéel).
Quelques petits trucs supplémentaires :
– Lors de la correction individuelle, le maître propose à l’enfant de recopier trois fois l’un des nouveaux mots pour mieux le savoir demain. Dans mon CP-CE1 : dictée de sons lors du premier trimestre.
– Une fois par semaine : petite dictée préparée portant sur les erreurs les plus récentes. Chaque enfant travaille à son niveau : une demie-ligne, une ligne, une ligne et demie, etc. S’il ne fait pas plus d’une faute, il est autorisé à essayer de franchir la marche au-dessus.
Attention : les exercices, les fichiers de grammaire, de conjugaison ne visent qu’à l’amélioration de l’orthographe scolaire détachée de la vie. L’indispensable, c’est une orthographe intégrée de façon vivante à l’émission quotidienne d’une pensée.
Les brouillons des textes ne devraient jamais être tapés directement à l’ordinateur car on inscrit ainsi dans la mémoire visuelle des formes erronées qui se trouvent alors à égalité, en concurrence, avec les formes correctes. Bref, l’important, c’est évidemment l’expression, et, dans certaines classes, elle atteint un niveau remarquable. Mais il ne suffit pas de travailler sur le fond. Ce serait vraiment dommage pour l’enfant qu’on ne se soucie pas parallèlement de le faire progresser sur le plan de la forme. Il faut y consacrer du temps et en gagner au besoin sur certaines séquences orales.
Paul Le Bohec
Texte paru dans le nouvel éducateur N°160, Juin 2004, p.20