Pour étayer ses propos dans son prochain ouvrage (1), Paul Le Bohec, militant acharné de l’expression libre, ancien compagnon de Célestin Freinet, appelle les enseignants de maternelle à témoigner de leur pratique. Il en profite pour lancer quelques pistes de réflexions déjà évoquées lors du stage de Saint Hilaire de Riez en octobre dernier.
Vous êtes aux premières loges pour recevoir les premières manifestations de l’enfant qui essaie de trouver sa piste principale d’actualisation de ses pulsions, désirs, besoins...
Vous lui offrez des domaines du corporel, du manuel, du graphisme, de l’oral… en organisant des temps, des espaces, des matériels, des objets transitionnels… etc.
J’aimerais avoir votre témoignage pour le placer à côté de ma conception de la mise en place au niveau des 6/9 ans des langages écrit, oral, maths, dessin, chant, corporel. J’ai pendant toute une décennie pu vérifier comment il est important que les enfants de ce niveau disposent de ces moyens d’expression-création et comment ils ont pu souvent magnifiquement s’en emparer. Je demanderai aux spécialistes des 9/11 ans de me dire ce qu’ils en pensent. Voilà exactement ce que j’aimerais savoir de votre côté. Vous avez déjà une longue expérience. Pouvez-vous me dire ce qui marche régulièrement chez vous et auquel vous n’êtes pas prêt de renoncer. Mais aussi ce qui se révèle ou pourrait se révéler comme particulièrement utile. Je pense en particulier à l’apport de Jean-François Bataglini et à ses appareils consacrés à la manualité (et dans son esprit à la science). Comment se fait-il que vous n’y ayez pas pensé avant ? Pourtant vous aviez déjà pensé à développer la manualité. Qu’apporte-t-il de nouveau, de différent ?
Et vous freinétistes, qu’apportez-vous de nouveau, de différent par rapport à ceux de l’AGIEM (2) et de la pédagogie traditionnelle si elle existe à la maternelle.
Quelles sont vos questions actuelles, dans quel sens vont vos recherches. Même si je n’y connais rien, je n’hésite pas à mettre mon grain de sel, pour qu’éventuellement, après ma provocation, vous retourniez au « statu quo ante » mais, cette fois, en sachant plus clairement pourquoi vous travaillez de cette façon. Voilà, vu de ma fenêtre de non-informé, ce qui me parait insuffisant dans notre pratique (tu retrouves ici le mec, le provocateur-né).
Vous ne donnez pas assez de place (en fréquence et en quantité) à la pâte à modeler (pas à la pâte à sel trop limitée). C’est un merveilleux moyen de pratiquer des actions d’ordre symbolique. Mélanie Klein en faisait la base de son travail et je sais que des pédopsychiatres l’utilisent également. Mais évidemment, ce serait en dehors de toute interprétation de votre part (d’ailleurs vous n’en auriez pas le temps). Mais vous l’employez peut-être déjà.
D’après ce que j’ai pu constater, le dessin au trait (avec un bic d’une seule couleur, noir ou bleu foncé de préférence) n’a pas toute la place qu’il devrait prendre chez vous Et pourtant !
À mon avis c’est une erreur de vouloir adopter ou adapter à l’école maternelle, des techniques qui fonctionnent bien ailleurs, comme par exemple la correspondance, le conseil qui ne sont pas du niveau de vos élèves, pas plus d’ailleurs que du niveau des 6/9.
Bon, j’ai craché mon vérin. Ne vous en affectez pas outre mesure. J’ai peut-être tort. Quoi tort moi ? Jamais, vous n’y pensez pas. La ferme Paul. Y a plus important à faire.
En effet mon chapitre 19 ou 20 sera consacré à des témoignages sur l’impact de la pédagogie Freinet sur certains enfants. J’en avais parlé au multi-stage. Je compte recevoir une douzaine de participations.
Je veux montrer que les changements positifs qui ont parfois eu lieu dans ma classe, n’étaient pas dus à mon personnage mais à la PF.
Voilà comment je vois les choses : Soudain, parce qu’il a pris une responsabilité, ou qu’il s’est engagé dans une activité, ou qu’il s’est emparé d’un langage, un enfant change de comportement. Je l’ai vu une dizaine de fois dans ma classe parce que j’avais très tôt installé en dominante l’expression-création. Mais des copains en ont eu aussi une ou plusieurs expériences saisissantes.
Je sais bien qu’il faut un certain temps pour maîtriser un langage ou une technique et que cela dépasse le temps très court de la maternelle. Mais je n’en suis pas du tout sûr. Certainement de tels basculements peuvent se produire chez vous. D’autant plus que vous ne manquez pas de langages et de moyens d’expression. J’aimerais en avoir un écho.
En fait, en résumé, je voulais aussi vous donner la parole.
Paul Le Bohec
Article paru dans le bulletin Chantier maternelle n°29, janvier 2006, p. 4
(1) LE BOHEC Paul, L’école réparatrice de destins ?, L’Harmattan, 2007.
(2) Association d’enseignants d’écoles maternelles publiques