Le rôle d’Élise Freinet a été d’une importance considérable. On peut même se demander si, sans elle, le Mouvement aurait existé.
Tout d’abord, elle était la compagne de Freinet. On dit qu’un tourbillon ne peut s’établir qu’à la rencontre de flux de sens opposés.
Avec de telles personnalités, leur tourbillon a été si fort qu’il en a suscité une quantité d’autres.
Ils étaient en relation dialogique, c’est à dire complémentaires, contradictoires et opposés. Et il s’est produit qu’au début du mouvement, ceux qui ont adhéré à leur conception de l’école populaire travaillaient très souvent dans des écoles rurales à deux classes, infiniment nombreuses à cette époque.
Elles étaient souvent tenues par un couple d’instituteurs, la femme s’occupant des petits et le mari des grands.
Et c’est un ensemble de tourbillons qui a créé le mouvement. Étant de cultures différentes (Élise était fille d’instituteurs) l’action du couple Freinet a été très étendue. En tant qu’artiste, on avait offert à Élise un poste de choix à Paris. Mais elle avait préféré rester avec Freinet.
Cependant ce renoncement à la poursuite d’une carrière personnelle l’avait poussée à s’intéresser au développement de ce qu’elle a appelé « l’art enfantin ». Mais elle s’est heurtée d’emblée à un obstacle de poids : les enseignants du primaire n’avaient aucune culture dans le domaine artistique. Ils avaient été formatés au calcul – orthographe. Pour toute autre qu’Élise, la difficulté serait apparue insurmontable...
Comment, étant donné le vécu artistique microscopique des enseignants de ce temps, a-t-elle pu croire que quelque lueur non définitivement éteinte avait pu survivre par miracle chez certains d’entre eux ? Et c’est avec ces personnes en friche qu’il lui a fallu mener la bataille. Elle n’a pas ménagé sa peine donnant des renseignements techniques, critiquant les œuvres qu’on lui soumettait, organisant des circuits d’albums, des expositions aux congrès pour finir par l’édition d’une revue soutenue par des artistes (Dubuffet, Lurçat, etc.).
C’est à ce prix que l’art enfantin a enfin pris sa place dans le Mouvement et qu’il ne l’a plus quitté. Mais son si fort investissement dans ce domaine a permis de sérieuses avancées dans d’autres domaines.
En effet, personne au niveau des parents ou de l’administration ne se souciait d’art. Aussi, nous bénéficiions d’une très grande liberté. Nous avons pu poursuivre de nombreuses expériences. Élise était ouverte à toutes les idées et soutenait tous ceux qui s’avançaient sur des territoires vierges. Et, ainsi, nous avons pu librement mettre au point une méthode naturelle d’expression graphique et picturale. Il ne restait plus qu’à la transposer dans d’autres domaines qui étaient corsetés.
Paul Le Bohec
Texte paru dans le Bulletin des Amis de Freinet N°85, Juillet 2006, p.17