Navigation dans l'œuvre de Paul Le Bohec, pour une école réparatrice de destins
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Permettre une expression profonde

L’an dernier, nous avons entretenu des échanges avec Paul Le Bohec, ancien compagnon de Célestin Freinet et militant acharné de l’expression libre. Il nous précise dans ce courrier ce qu’il entend par « dessin au trait » et pourquoi le tenter dans sa classe... et nous raconte une histoire de modelage.

Dessin au trait
Les enfants se laissent facilement séduire par la couleur. Il est vrai que c’est un sucre agréable. Ils veulent toujours faire joli. Et, en plus, l’enseignant aime ça.
Mais dans les profondeurs souterraines, leur inconscient râle. Il étouffe. Il voudrait se manifester, mais il n’a pas le droit à la parole.
Le dessin au trait pourrait lui donner une place, d’autant plus qu’il permet de travailler vite et d’accumuler des productions. Or « des transformations de quantité génèrent des transformations de qualité ».
On perd un temps considérable à étendre la couleur jusque tout près du bord ; pendant ce temps, on aurait eu le temps de faire dix dessins au bic. Mais l’enseignant n’aime pas le gribouillage.

Forçage de la liberté
C’est simple : pendant quinze jours, vous supprimez la couleur.
« Merde ! Il n’y a plus que des blocs de sténo et des bics noirs ou bleus. Tant pis, on va faire avec puisque c’est comme ça. »

Et puis, vous rétablissez la couleur tout en conservant bloc et bic et collé gram. Maintenant qu’ils ont goûté, vraiment goûté à une deuxième source de productions, les enfants sont devenus libres parce qu’ils peuvent choisir en connaissance de causes.
Évidemment, ils vont presque tous revenir à la couleur sauf deux ou trois petits, particulièrement chargés qui auront entrevu que le dessin au trait pourrait être un langage qui saurait leur convenir. Tant pis pour le maître qui, à tout hasard, laissera tout de même exister les gribouillages.

Pâte à modeler
Un jour, à Pleumeur-Bodou, un directeur s’aperçoit que l’école privée a été honteusement privilégiée par le conseil municipal. Il râle et obtient un crédit inattendu. Aussitôt il achète 5 litres d’encre de chine pour sa classe et 5 kilos de pâte à modeler pour la maternelle.
Et alors, les petites mains s’en donnent à doigts joie. Comme le dessin qui permet d’explorer toutes les dimensions de ce langage, la pâte offre toute une gamme de possibilités dont, entre autres, l’expression profonde. Et en plus, on peut l’armer de bouts de règle, de bouts de bois, de petits flacons. Ça tient debout, c’est de la sculpture.
Et quand ces petits iront voir les calvaires bretons, ils seront en terrain connu parce qu’ils auront été de la partie.

Paul Le Bohec

Article paru dans le bulletin Chantier maternelle n°32, septembre 2006, p.4