Navigation dans l'œuvre de Paul Le Bohec, pour une école réparatrice de destins
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Les problèmes de la créativité

Ainsi, nous allons concentrer, cette année, nos regards sur le phénomène de la créativité. En fait, dès l’origine, le mouvement a été basé sur l’expression libre. Cependant, à notre sens, il est excellent qu’on ait décidé d’examiner d’un peu plus près ce qui était le miel quotidien de notre activité.

Mais nous ne nous en sortirons pas si facilement. Car, comme pour toute chose d’ailleurs, dès que l’on creuse un peu profondément une idée, on ne finit pas d’en voir les rebondissements.Mais il faut s’y mettre, même si l’on est certain, par avance, de ne jamais réussir à faire le tour du domaine. Et puis, l’essentiel n’est-il pas d’avoir des questions ?

Plus nous réfléchissons, plus nous pensons que le mouvement tout entier se trouve concerné. À notre époque, avec ce qui se passe en ce moment, il est impossible de fuir dans des activités de sable pour s’y cacher la tête. Il faut faire résolument face aux questions qui se lèvent en nombre. En voici un premier inventaire.
– En tout premier lieu, qui a introduit ce mot étranger de créativité dans le mouvement ? Quels avantages en retire-t-on ? Pourquoi ne se contente-t-on pas de l’expression libre ? Est-ce pour en dénoncer les détournements, les atténuations ? Est-ce pour relancer l’expression libre libre, l’expression naturelle ? Pour relancer les méthodes naturelles ?
– Quelles sont les sources profondes de la créativité. Est-ce qu’elle ne devrait pas, si les conditions étaient normales, occuper toute la place, toute l’activité de l’être ?
Comment se nourrit-elle des interdits, des frustrations, des actes et des relations manquées de l’enfance ? Comment aide-t-elle l’être à se rééquilibrer ?
Jusqu’où peut-on la laisser aller ? Jusqu’au bout du délire, comme le pensent les anti-psychiatres ? Et les anti-antipsychiatres (les Lacaniens) qu’apportent-ils d’autre ?
Comment se fait-il que certains enfants s’y jettent totalement, avec une intensité qui coupe le souffle ?
– Mais n’y a-t-il pas danger d’utilisation, de récupération par le système, de tout ce que les êtres, du moins ceux qui sont en cours de réalisation, portent en eux ?

Nous savons que certains camarades vont être peu sensibles à ces « questions d’intellectuels ». Aussi, nous allons revenir à des considérations plus directement pédagogiques.
Est-ce que, précisément, cet angle de vue un peu spécialisé ne va pas revivifier certains secteurs de recherche et provoquer même des déblocages ? Examinons quelques cas particuliers.

Art enfantin
– Même en dessin libre qui, depuis le temps, ne devrait plus avoir aucun problème, est-ce que tout a été bien examiné ?
Pourquoi n’y a-t-il que quelques écoles artistes, une maigre poignée ? Quelles sont les conditions minimales de climat, de place, de nombre nécessaires à leur développement ? N’y a-t-il pas, en toutes circonstances, un secteur ou un autre qui soit possible (création parlée par exemple) ?
Pourquoi certains maîtres restent-ils indifférents ? Pourquoi la personnalité de certains autres est-elle un obstacle ? Quelle part faut-il faire à l’insécurité, au manque de formation ? Quel rôle peut jouer le groupe départemental pour les déblocages (par exemple : prise en main par des camarades de l’affichage de départ). Quels sont les outils, les moyens de mise en route, les domaines minimaux accessibles à chacun ?

Audio-visuel
– A-t-on vraiment fait le tour de la question sous cet angle de vue ? A-t-on travaillé sur son (parole, chants, bruits) en complément d’images ? A-t-on travaillé graphiquement en complément du son ? A-t-on créé aux deux niveaux à la fois ?
– Sur le plan cinéma, pourquoi n’en est-on qu’aux premiers balbutiements ?
– Au niveau du magnétophone, pourquoi la piste créativité orale ne prend-elle pas plus d’importance ? Quand les enfants ont-ils besoin du magnéto ? Quand le délaissent-ils ? Qu’introduit-il ?
Mais, surtout, pourquoi la piste du magnétophone-confident est-elle en friche ? Qu’apporte le magnéto utilisé solitairement avec ses possibilités d’effacement ? Qu’apporte le casque et l’isolement qu’il provoque à l’enfant qui s’entend parler ? Quelles purgations, quelles catharsis peut-il susciter ?

Mathématiques
Où en est-on ? Où est la méthode naturelle ? Quelles en sont les conditions, les réalisations ? Quelles sont les sécurités minimales du maître ? Quels sont les programmes naturels ?

Étude du milieu
Est-ce qu’on a placé l’enfant au centre ? Quelle part a-t-on faite à sa création d’hypothèses, à son tâtonnement pour l’explication, l’incorporation du monde ? Entend-on la formulation des hypothèses ? Perçoit-on les cheminements, les rectifications, les nouvelles interrogations ?
Et le rôle du groupe ? Comment, dans les méthodes naturelles, le maître a-t-il pu renoncer à ses buts, à ses recherches de sécurité et laisser l’enfant libre de ses tâtonnements polyvalents ?
Est-ce que ces simples questions ne doivent pas renouveler l’enseignement, que dis-je, les regards géographiques, historiques, économiques…?

Commissions horizontales
Nous voulons parler des commissions de niveaux, CE, perfectionnement, transitions, etc. Certes, il est plus facile de décider qu’il n’y a qu’à s’incorporer aux structures verticales du mouvement (Exemple, la créativité ou la musique de 0 à 95 ans).
Mais, par exemple, au niveau des enfants de sept à neuf ans, ne faut-il pas examiner la créativité globale qui circule continûment d’un domaine à l’autre ?
À la maternelle, faut-il contraindre l’enfant à finir son dessin ou bien n’a-t-il pas autre chose à finir qui peut être une unique question posée dans cent domaines différents ?
Et à ce niveau, qu’est-ce qui est création, bricolage, investigation, expression ? Peut-on cloisonner ?
Faut-il se sentir coupable ? Et de quoi ?

Évidemment, tout ceci est trop rapidement exposé. Mais il appartiendra à chacun de discerner son domaine et de trouver des questions que personne n’a encore songé à poser. Et peut-être aussi des réponses.

Paul Le Bohec 35 - St-Gilles

Article paru dans l’éducateur n°2, 1er octobre 1972, p.4-5