L’impossibilité d’appliquer la Méthode naturelle à l’enseignement des mathématiques aurait démontré que cette théorie de l’apprentissage était limitée et manquait donc singulièrement d’universalité.
Mais pour les amoureux de la mathématique, le danger était grand de se fourvoyer, car ils auraient eu tendance à s’emparer du moindre événement ou de la moindre expression pour exploiter à fond la situation et s’immerger complètement dans les maths au risque de s’y noyer. Il s’agit d’être un peu mathématicien pour être pleinement éducateur et non l’inverse. La mathématique n’est qu’un moment : celui de la structuration. Il faut pouvoir aisément en ressortir pour retrouver la complexité de la vie.
Mais comment ceux qui avaient une grande expérience de la Méthode naturelle dans de multiples domaines n’auraient-ils pas été tentés d’en généraliser l’application ? Car le cerveau est naturellement producteur de théories ; il cherche constamment des lois universelles et aspire toujours à la cohérence des systèmes.
La Méthode naturelle, c’est l’expression-création et la communication dans un groupe positif. Le trait d’union est ici employé volontairement car on peut difficilement séparer les deux aspects. Et si on pouvait aussi séparer nettement la création de la recherche, on serait là encore en dehors du coup. Comme le dit Edgar Morin, il faut réformer notre pensée en repensant la complexité. Et la Méthode naturelle de maths sera pour nous l’un des meilleurs vecteurs de cette réformation.
Les enfants nous ont étonnamment obligés à penser que, contrairement aux habitudes du Mouvement Freinet, c’est de l’« exprécréation » que l’on doit partir pour lancer ses filets sur le monde et en ramener des richesses. Mais quel étonnement de retrouver chez deux philosophes de la science une conformation de ce qui n’était encore chez nous qu’une vague intuition :
« Le sens du vecteur épistémologique nous paraît bien net. Il va sûrement du rationnel au réel et non, à l’inverse, de la réalité au général. » « Le réel n’est que la vérification de notre conceptualisation. » Bachelard
« La théorie précède toujours l’observation. On ne va donc pas de l’observation à la théorie dans un mouvement de généralisation. On part de la théorie et on ne se sert de l’observation que pour tenter de l’infirmer. » Popper.
Ainsi, si l’on peut parler de Méthode naturelle, ce n’est pas parce qu’il y est question de fleurs et de petits oiseaux mais parce qu’elle correspond à la nature de l’être humain.
Popper ajoute :
« Ce sont les conjectures les plus audacieuses qui peuvent nous apporter le plus. »
Et, avec les créations des enfants dont les sources sont infinies, on débouche sur des expériences ou sur des problèmes intéressants à tenter ou à considérer.
En voici deux : 5 souris+1 chat=0 souris.
Un podium 1, 2, 3. Le gagnant est le deuxième. On va dans la cour jouer avec cette nouvelle règle, puis on invente d’autres podiums. Ensuite, on dévie, on détourne, on prolonge, on prend le contre-pied et ça n’en finit plus.
Et nous également, sur le plan international, nous n’en finissons plus.
Paul Le Bohec
Texte paru dans le nouvel éducateur n°96, dossier Mathématique et processus d’apprentissage : quels défis ?, février 1998, p.19