Navigation dans l'œuvre de Paul Le Bohec, pour une école réparatrice de destins
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La libération de l’enfant par le texte libre

Mon copain

Dans ma classe est venu l’an dernier un garçon de 7 ans, venant de Paris. Son père est mort à Trégastel. Sa mère s’est remariée à Paris et elle a eu trois petites filles. Pour la soulager on a envoyé l’enfant à Trégastel, chez sa grand-mère. Mais le garçon la gène parce qu’elle est laveuse et n’a guère le temps de s’occuper de lui. Elle n’a d’ailleurs pas très bon caractère et le houspille sans arrêt.

Un jour, j’ai lu le poème (A) suivant, écrit par Jean-Pierre (7 ans) il y a deux ans. Alors Jean-François, le petit parisien, s’est mis à écrire le premier des textes suivants (B). Le second (C) a été écrit le lendemain.

(A)
L’oiseau qui avait chanté
Des années et des années
Maintenant, il est mort
Par le caillou de la flèche
Maintenant, il ne pense plus à rien
Il est mort !
Il ne pense plus à toutes ces années
Qu’il avait chantées
Il me disait :
J’empêcherai ton chagrin
Je t’empêcherai de pleurer
Je te consolerai
Et il me consolait
Il gazouillait
Et moi, les choses gaies,
Ça me console
Mais l’oiseau qui avait gazouillé
Il est mort maintenant
Il ne dit plus rien
Maintenant, il est mort
Il ne me chantera plus, l’été prochain
Et ne me consolera plus.
Jean-Pierre (7 ans).

(B)
Aujourd’hui,
Je suis tout seul dans la forêt.
Je vois le petit oiseau qui danse
C’est merveilleux :
Je lui parle
Il me répond comme une grande personne
Après il part
Je lui dis :
Reste, mon petit oiseau
Tu es gentil, tu es mon copain
Tu es le meilleur petit oiseau
Mais il s’en va
Alors, je vais à la maison,
Comme un pauvre malheureux
Quand je pense au petit oiseau
Qui parle comme une grande personne.
C’est ingrat, un petit oiseau.

(C)
Je pleure sur ce petit oiseau
Je vais dans la forêt me promener.
Je vois le petit oiseau qui pleure aussi
« Ne pleure pas, mon petit oiseau,
Tu es mon copain,
Tu remplis mon cœur de joie. »
J’ai les larmes aux yeux,
II me répond des histoires
Il me dit
« Mais j’ai perdu ma maman !
Tu ne le savais pas ?
J’ai pleuré, tu sais.
Mon papa aussi ! »
Ce n’est pas chic
Quand sa maman
et son papa sont morts,
« Je te dis au revoir
mon petit oiseau »
Je m’en vais triste et malheureux
Un moment après, Je l’entends pleurer.
Je vais en courant le voir.
Je lui demande
« Qu’est-ce qu’il y a
– Rien du tout. »
Je croyais que c’était lui
c’était une pie.
Ta ! ta ! elle est partie.
On est bien débarrassé de cette pie.
Maintenant,
il est temps d’aller à la maison
Je n’ai pas envie d’aller à la maison.
Je vais rester une heure encore
pour faire plaisir au petit oiseau.
On se raconte des histoires
de notre papa et de notre maman.
Jean-François (7 ans)

À la réflexion, il me semble que la pie peut représenter la grand-mère.
Cette année, l’enfant est en pension dans une maison religieuse. Je l’ai pris dans ma voiture un jour et j’ai voulu lui parler mais il a fondu en larmes.
Cela me fend le cœur. Quand nous nous voyons, nous échangeons un petit signe et nous nous sentons bien copains, le petit oiseau et moi.

Paul Le Bohec, Trégastel (Côtes-du-Nord)

Article paru dans l’Éducateur n°27-28, édition culturelle, 1-10 juillet 1958, p.9-10