La chapelle en ruine
A la croix cassée.
Les oiseaux bleus, au vent,
A la mer bleue, se posent.
La rose chante.
La chapelle en ruine.
Enfants de pluie, de grésil.
La rose tombe au vent.
Hiver trop méchant,
Hiver plein de neige.
Oiseau.
Adieu l’oiseau,
Adieu la rose,
Adieu la Vierge,
Et la grêle au vent.
Gérard L’HÉRON (706)
Je donne ce poème bizarre parce qu’il permet d’aborder la question des influences.
Je décèle, dans ce texte, un écho d’un poème chanté l’an dernier :
Ils vont sommeiller dans la ruine
D’une vieille chapelle romane ;
un écho d’un poème sur dessin chanté par Christian, le frère de l’auteur :
Mais les peupliers, savent déjà chanter
En balançant leurs feuilles... au vent
C’est déjà bien de savoir faire chanter ses feuilles.
Les points de suspension figurent le silence que Christian avait laissé et les deux mots « au vent », détachés, avaient frappé Gérard.
Les oiseaux bleus viennent d’un troisième poème :
La nuit arrive, la jolie nuit
Qui se balance sur les chênes.
Le vent remue les feuilles des troènes,
Doucement, légèrement.
Les oiseaux bleus, dans le clair de lune
Vont se poser sur la mer.
La rose vient de :
« J’ai voulu, ce matin, te rapporter des roses »,
poème introduit en « récitation » dans la classe, à l’occasion d’un texte libre au thème identique.
Enfant de pluie, de grésil,
Hiver trop méchant, hiver plein de neige.
viennent de Charles d’Orléans,
Mais ce n’est pas tout ; dans ma classe, j’ai introduit « La Chanson du Vent » de Delbasty. Et mes garçons ont eu la chance d’entendre la version originale si touchante, si pleine d’allant, Là, ce que Gérard a retenu, c’est la juxtaposition sans verbe des divers personnages :
Le vent, le soleil et moi,
Le vent, le soleil et moi et Thérèse,
Thérèse et le vent, le soleil et moi,
Le soleil et moi, Thérèse et le vent.
Et maintenant, quand Gérard crée librement ses chansons, il aligne des mots sans suite :
La mer, la mer, la mer, la mer,
La mer la pluie, le vent le soleil
Les nuages roses.
L’enfant, la maison, le printemps, les églises, etc.
Chose étrange : de cette accumulation d’éléments de décor naît une idée unique, comme un motif se détache soudain de pierres de mosaïque rassemblées : l’ordre naît du chaos.
Ainsi, voici un poème né des poésies des camarades anciens ou présents de la classe, des poèmes de Charles d’Orléans et Marceline Desbordes-Valmore, et d’un style emprunté à un enfant de Buzet-sur-Baïse, le tout adapté à la personnalité d’un enfant avec une vision personnelle du monde, dans un milieu scolaire géographique et humain différent.
Cela aboutit nécessairement à une création originale.
L’enfant a donc subi des influences et il en subira encore. C’est tout à fait normal : l’être humain ne serait pas ce qu’il est s’il n’était sensible au milieu qui l’environne.
Mais il y a une dialectique de la construction de la personnalité culturelle de chacun, il faut s’approprier, assimiler la culture. Mais cette assimilation ne peut se faire que dans une progression, un mouvement.
Comme on pouvait s’y attendre, Gérard a fait école dans notre classe : il s’est constitué une technique originale et cela a suscité des imitations. Il ne faut pas bannir l’imitation : elle permet le démarrage. D’ailleurs, beaucoup de créateurs, parmi tes plus grands (voir les premières symphonies de Beethoven par exemple) sont au début, parfaitement intégrés aux courants de leur époque. Et puis, soudain, quand il y a tempérament ou génie, l’imitateur se forge un langage qui lui est propre et il devient précurseur.
Mais il ne faudrait pas laisser l’enfant et ses camarades s’enfoncer dans leur ornière, même si l’ornière est belle. Il faut, au contraire, essayer de susciter une autre tendance compensatrice ou concurrente. Il faut que la classe soit constamment en porte-à-faux entre plusieurs pôles afin que déséquilibré, désorienté, secoué par ce manque de confort, cette impossibilité de suivre benoîtement une personnalité marquante, chaque enfant se trouve contraint de chercher sa voie et sa voix personnelles.
Chez nous, voici que Pierre-Yves qui avait dormi jusqu’à présent se lève et qu’une tendance Max Jacob s’installe à côté de la tendance Buzet :
Je vois les arbres.
Adieu mes colombes
Adieu étoiles, les sapins
Adieu colombes
Adieu lapins
Adieu adieu mes maisons
Adieu mon chien
Mes rouges-gorges
Tous mes oiseaux du monde
Les chemins tout au loin.
Pierre-Yves CORRE (708)
Paul Le Bohec
Article paru dans l’éducateur n°11, la part du maître, 1er mars 1962, p.12-13