À Nice à un congrès des parents d’élèves, le premier orateur a traité du thème : « L’école, pour quoi faire ? » Personnellement, je réponds : « Pour aider à vivre, pour éclairer la vie ». Je me rends compte que non seulement pour le présent mais dans les perspectives qui se dessinent, on se soucie fort peu de cette réponse à la question. On trahit le peuple quand on ne sait pas voir la réalité des choses, la vérité des êtres. Il ne faut plus permettre qu’ils soient battus, vilipendés, houspillés, ridiculisés, méprisés dans leur propre pays.
Il faut que cesse ce mépris de l’homme, cette habileté des cuistres à mettre les autres en porte-à-faux, à les sortir de leurs terres où ils pourraient prendre force.
Il faut que l’homme soit reconnu, que ses parlers soient respectés, qu’ils soient comptabilisés à son crédit et deviennent sources de richesses à faire fructifier.
L’école, pour quoi faire ? pour aider à vivre, pour éclairer la vie et non, comme l’instituteur de Knock, pour aider ceux qui ont besoin que l’homme soit avili, désespéré et victime.
Combien d’enfants ai-je vus, des Michel, des Daniel, qui faisaient pitié en classe de français alors que dans la cour ils étaient les rois par la richesse de leur langue et l’originalité et la variété de leurs contes !
Et l’on voudrait faire croire qu’ils étaient des minus, des êtres méprisables, des nullités ?
Oh ! comme la grand-mère de Jeannette se levait, à 80 ans, pour essayer d’entendre à la radio, malgré la faiblesse de l’émission (1/20 de KW), la demi-heure bretonne du dimanche ! Je parle du breton. Encore un trésor stupidement abandonné.
Vous le savez, aucune langue n’a toutes les richesses. Il suffit de fréquenter les congrès pour savoir combien souvent viennent à la bouche des expressions locales, accompagnées de l’inévitable « comme on dit chez nous ». Comme « draille, jaugué, gouègué, groagué » parlent mieux que abîmé, chiffonné, coincé, cabossé. Je ne suis pas pour l’autonomie de la Bretagne, je suis pour l’autonomie de l’homme. Ce que je dis, je le dis pour Plouzévédé, pour Saint-Senoux, pour Crouy-sur-Cosson, pour Saint-Rémy, pour Vénérieu, pour Montauban, pour Chamalières. Je suis pour l’humain et je ne saurais admettre, sans protester, que l’on dépouille ainsi les gens de leurs trésors et qu’on les aliène autant en les rendant dans leur propre pays, étrangers à eux-mêmes.
Le français parlé.
Tu es convaincu Michel, et toi Pierre ? Et vous regrettez de ne pas participer à ce mouvement, à ce combat parce que vous êtes de pays où il n’y a pas de parler local, parce que vous êtes les habitants interchangeables de vos métropoles interchangeables.
Comment ? pas de langue pour le contraste ? Et la langue parlée ?
Je suis particulièrement sensible aux structures du langage parlé parce qu’il m’arrive souvent de bafouiller. Et tous mes beaux pronoms, que je commence toujours par placer en tête, attendent si longtemps d’être éclairés par les noms qu’ils sont sensés remplacer que mes auditeurs ont coupé la communication depuis longtemps. Je pense que la langue parlée peut être cette autre langue d’opposition dont on a besoin. Ne voilà-t-il pas une occasion de travailler dans ces domaines propres sans avoir à en sortir ?
Oh ! oui, nous passons à côte de milliers de choses et parmi elles à côté de vraies choses. Il faudrait prendre le temps de les regarder ces vraies choses. Il y a tant à voir et à entendre tous les jours dans la vie de tous les jours. Il suffît de se poser trois questions :
– Y a-t-il dans le milieu où je vis une langue autre ?
– Est-ce que je pense qu’elle puisse avoir une valeur, être objet, source de culture ?
– Si oui, qu’est-ce que j’attends ?
Paul Le Bohec
Article paru dans l’éducateur n°13, 15 mars1971, p.11-12
Extrait du dossier Notre festival de pédagogie populaire, 2ème thème : les méthodes naturelles