Navigation dans l'œuvre de Paul Le Bohec, pour une école réparatrice de destins
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Le planning de lancement au service de l’expression

L’enfant ne peut pas toujours arriver seul à trouver les voies de son expression : il a besoin du groupe qui le stimule, le valorise, lui ouvre des pistes. Il a besoin du maître qui l’aide à « abandonner ses anciens conditionnements » et à découvrir son expression originale.
Le « PLANNING-LANCEMENT » est une technique riche de possibilités dans ce domaine. Il est dommage qu’après l’avoir expérimenté dans les années 60/61/62, on l’ait plus ou moins abandonné. Il me paraît, aujourd’hui devoir être relancé ; c’est pourquoi je fais paraître le texte ci-dessous de Paul Le Bohec qui nous initia à cette technique qu’il avait créée.  Jean Le Gal

Le Planning-constat permet aux élèves et au maître de faire le point des acquisitions : « à quel point est-on arrivé ? »  On pourrait dire que le PLANNING DE LANCEMENT, lui, permet de savoir « de quels points l’on est parti. »

Si on laisse les enfants « libres », on les abandonne dans leurs anciens conditionnements. Il faut donc contre-conditionner. Il faut permettre de découvrir vraiment.

On a souvent des quantités de fausses raisons de ne pas faire l’effort d’accéder à un domaine nouveau : on refuse sur des impressions, des perceptions floues, sur l’apparence rebutante d’un vocabulaire, pour des difficultés sans nombre que l’on croit deviner… En fait, le plus souvent, c’est la paresse de changer qui est la cause principale de ce refus.

Comment faire pour percer ce rideau de fumée, et mettre les individus en contact de ce qui pourrait être bon pour eux ?

C’est un choix que l’on doit faire : il suffit de les aider à goûter vraiment à la chose ; sitôt après, ils sont libres de refuser, mais cette fois, en connaissance de cause, et non plus sur des bases imaginaires et peut-être fausses. Le planning de lancement permet cette aide.

Technique
On dessine une échelle à dix marches. Chaque enfant a une punaise à sa couleur (rouge pour Pierre, verte pour André,...). Si l’enfant fait un pas, sa punaise monte d’une marche.
exemple :
Si l’on veut faire connaître le « chant libre » à une classe, on crée une colonne « chant libre » sur le planning de lancement ; la moindre émission de son sera sanctionnée par la montée d’une marche. Il y a toujours un farceur qui émet un grognement ; sa punaise monte. On lui dit de recommencer ; il émet un son un peu plus long ; sa punaise monte une seconde marche.
« Oh ! si c’est ça, c’est pas si difficile ! »
Aussitôt, plusieurs de ses camarades lui emboîtent le pas. Le maître ajoute :
« On peut aussi dire des mots, des sons, tout ce qu’on veut. »
Ils le font d’abord pour jouer, et soudain l’un d’eux exprime quelque chose de plus personnel... ça y est, c’est parti !... Les trois quarts de la classe ont monté les dix marches en moins d’une demi-heure. C’est fini ; il n’y a plus rien à conquérir, on est en haut.

Seulement, les enfants ont goûté au chant libre, et ils ne le lâcheront plus.

Ceci est valable pour toute chose en ses débuts :
- les premiers textes dits
- les premiers textes écrits
- les premiers dessins libres
- les premières danses
- les premières musiques
- les premières gymnastiques...

bref, tout ce qui concerne l’expression originale qui a été bloquée jusque là.

La plupart du temps, quand l’expression a « pris » vraiment dans la classe, on abandonne toute référence au planning : ce qu’on vient de découvrir est si intense, si prenant, que l’on ne s’arrête plus à de petites préoccupations de visualisation des réussites. On est immédiatement au-delà.

Si par hasard, certains enfants résistent malgré tout, il ne faut pas insister, c’est que leur domaine est autre.

Paul Le Bohec

Article paru dans Chantiers 44, n°9, publication de l’IDEM44, avril-juin 1976

repris dans Chantiers pédagogique de l’Est n°28-29, août-septembre 1976, p11-12