Vous allez dire que j’exagère. Moi aussi, je trouve que j’exagère quand, en parlant du 674218 du Freud de « Psychopathologie de la vie quotidienne », je dis qu’il exagère.
Voici les faits que je vous soumets, tout en étant conscient que je risque de faire du dégât au niveau de notre chère méthode naturelle. Surtout dans l’esprit des gens sensés. Car, l’inconscient, est-ce que ça existe ?
Avant-hier, un évènement familial considérable : pour la première fois depuis la mort de notre mère, il y a vingt-cinq ans, les trois frères se retrouvent tout un après-midi. La nuit suivante, un nombre m’apparaît en rêve : 365206. Étonné, je me demande au réveil pourquoi ce diable de nombre a-t-il surgi dans mon inconscient. Ce qui frappe immédiatement, c’est le 520, car c’est le numéro de la locomotive qui a tué notre père dans la gare dont il était le chef. Le 36 aussi me semble assez clair parce que c’est 3 la différence d’âge entre mon aîné et moi et 6 la différence entre mon cadet et moi. Et ça ne date pas d’aujourd’hui. Mais 06 je ne vois vraiment pas. Il y a bien les Alpes-Maritimes de Freinet, Élise et la CEL. Mais quel rapport avec nous ? À moins que le 5206 ne soit en relation avec le 5026 de la voiture que j’ai vendue récemment. – La métonymie des rêves s’applique peut-être aussi aux nombres. Au lieu d’un nom pour un autre, l’inconscient prendrait un nombre pour un autre ? – Mais je m’arrête là car vous allez penser que ça confine au délire.
Cependant, pour achever de me déconsidérer à vos yeux, je signale qu’un matin, en allant chercher mon journal au bourg, je suis soudain resté figé sur place. Il y avait quelque chose d’insolite dans l’environnement. Alors, comme Proust lorsqu’il avait buté sur le pavé inégal, j’ai essayé de savoir pourquoi. Mais j’avais beau regarder partout, je ne trouvais rien. Soudain mes yeux sont tombés sur le numéro d’une voiture : 5076. Ça ne pouvait être que ça : le rappel d’une structure numérique familière (5026).
Mais je vous l’accorde : c’est du délire. J’ai trop lu Proust et Freud. Et je suis trop amoureux des nombres.
Eppur, si muovono i numeri.
Paul Le Bohec
Texte paru dans Naturellement math N°7, Juillet 1991, p.4