Navigation dans l'œuvre de Paul Le Bohec, pour une école réparatrice de destins
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La cage à fils

La cage à fils... Une méthode naturelle d’espace ?
Pour tout apprentissage, Freinet recommandait la méthode naturelle basée sur l’action, l’invention, la création, la communication.
L’invention-création peut s’effectuer en s’ouvrant en grand à tous les espaces de plaisir, de recherche, de projection, de communication. Mais la méthode naturelle comporte également des instants de fermeture : soudain, on se fixe un but précis... tel résultat à obtenir... une loi à construire... C’est alors le moment du tâtonnement expérimental. Et puis, on retrouve l’air du large en attendant une nouvelle fixation momentanée sur une autre question. Et ainsi de suite, dialectiquement, en une ample et vivifiante respiration.

La cage à fils permet de prendre conscience de ce fonctionnement et d’explorer de grands espaces du possible.

La question des matériels
Il existe des matériels fermés. « Leur apport est illusoire : quand on abandonne le matériel, les notions que l’on croyait acquises s’évanouissent. » (J.-C. Pomès)
La cage à fils est un matériel ouvert, presque à l’infini et c’est un excellent palier vers la CAO (Conception assistée par ordinateur).

Explorer l’espace à deux dimensions
La cage à fils permet aussi de travailler à ce niveau. Ce n’est que par hasard que l’on était arrivé aux coordonnées cartésiennes. Les créations des enfants s’en étaient tellement rapprochées que je n’avais pas eu besoin de pousser beaucoup pour qu’on tombe dedans (voir Le Texte libre mathématique, Éd. Odilon 89100 Nailly).
Elles s’étaient inscrites dans le folklore de la classe à trois cours (CP-CE1-CE2) qui transportait d’une année sur l’autre certains acquis. On inventait des programmes aléatoires pour voir ce que cela produirait. Par exemple, que donnerait :
x  1    2   7   3  - 4  -6
y  1  -3  -6  -9    0   2
Et puis certains éprouvaient un besoin de régularité. Et on avait des séries :
x 1 3 5 7... pour y : 2 4 6 8... ou bien
x 1 2 3 4... 10… pour y : 10 9 8 7.... 1
Ce qui donne des lignes droites.
Les courbes : on arrive à bien les dessiner à la craie mais la constitution du programme y afférant est laborieuse.

Bref, à lui seul, le plafond est déjà un riche territoire d’exploration dialectique du plan (dialectique=unité des contraires).
Ou on se donne un programme et on l’exécute ou bien on dessine une figure et on en établit le programme (la formule, l’équation).
Le champ est immense : représentation graphique (ce qui est un analogon d’une réalité), représentation numérique (analogon de cette représentation).
Les chiffres sont une écriture puisque, à partir d’eux, on peut reproduire la réalité. C’est une fixation en mémoire. On peut la conserver, la communiquer, etc.

Et surtout, explorer l’espace à trois dimensions
C’est ici que la cage à fils se révèle un outil ouvert sur l’infini, puisqu’on pourrait dire que c’est un analogon de l’univers. Tanguy a lui aussi voulu des régularités, mais essentiellement pour le bas. Il a aligné tous les départs du plancher (on commence toujours par le bas pour coincer le nœud sous le plancher et ainsi le dissimuler). En haut, il s’offre plus de libertés. Il s’est d’abord préoccupé de construire son volume. Ce n’est qu’après que nous avons établi ensemble la formule de sa figure :
plafond :
x 1   11  3   -1-4-7-11-10 -6  0 -5-10 10 10...
y 1 -11 -10  -6 -3 0 4   8 10 10 10 8   2  -1...
plancher :
X  1 8  8  8  8 8 8 8 8 8 8 8 8 9 9 9 9
Y 1 -4 -3-2-1 0 1 2 3 4 5 6 7 6 5 4 3...
Sur le modèle grandeur nature, on retrouve bien la régularité du plancher et, à la lecture du programme, on repère aussi la série -1 -4 -7 qui donne en effet une ligne droite.
Problème : mais pourquoi observe-t-on que le point -11, -4 se trouve aussi dans le prolongement ? La réalité interroge la théorie et l’oblige à s’affiner.
Autre problème : face à sa quasi-hotte, rigoureusement absente au départ dans son esprit, Tanguy aurait pu être tenté de déplacer quelques fils pour parfaire l’objet inattendu qui s’était ainsi révélé.
L’imaginaire follement libre se solidifiant ainsi dans la simulation abstraite-concrète d’un objet.
Bachelard : « Le réel n’est que la vérification de notre conceptualisation. »

« Et si cela ne ressemble à rien ?
– Cela peut être une création artistique, l’art étant le domaine de l’absolue liberté. Et c’est sans doute ce qui explique le plaisir procuré par cette cage à fils : on ne saurait échouer. »

Quelques expérimentations libres :

Deux demi-cercles
J’ai eu l’idée de tirer des fils entre deux demi-cercles symétriques et superposés. Mais je n’arrivais pas à me représenter par avance ce que cela allait bien pouvoir donner. Je n’avais pas encore assez tâtonné pour le savoir d’emblée ; contrairement à Patrice, devenu chef de chantier, qui, à 8 ans, avait abondamment travail-joué avec la cage, et qui pouvait, de ce fait, se représenter immédiatement en trois dimensions un plan de construction sur un bleu d’architecte. Moi, il me fallait beaucoup avancer dans ma réalisation avant de commencer à entrevoir le résultat final.
Les « S » symétriques
Aux Journées d’études de l’ICEM, un camarade, Rémi, avait dit : « Tiens, moi, je partirais de deux S inversés. »
J’ai réalisé son idée parce que j’étais curieux du résultat. Et c’était un pas vers la Méthode naturelle que postule le groupe. Comme cela se produit souvent en classe, il y avait aussi, en cette circonstance, un concepteur et un réalisateur. Les idées peuvent émaner de soi ou des autres. Il suffit qu’on puisse les intégrer à sa propre chaîne en cours de construction. Et c’est surprenant de voir avec quel élan, quelle énergie, quelle inventivité, quelle rapidité le groupe peut progresser.

Fiche technique
Pour l’instant :
– 12 cornières de Meccano (25 cm) ;
– des élastiques blancs ;
– 2 plaques d’isorel perforé à trous rapprochés (12 mm) de 25 cm x 25 cm ;
– des fiches-bananes venant d’un jeu d’enfant (damier portable) ;
– des petites pinces de bureau.
Les plaques sont munies dessus et dessous de repères orthonormés en x.y (plafond) et X.Y. (plancher).
On fait un nœud à l’extrémité de chaque élastique. On passe chaque élastique dans un trou sous le plancher et on le coince avec une fiche sur le plafond.
On peut dessiner à la craie sur le plafond et sur le plancher et joindre les dessins par des fils.

Paul Le Bohec

Texte paru dans le nouvel éducateur n°112, pratiques de classe, octobre 1999, p.16-17