Navigation dans l'œuvre de Paul Le Bohec, pour une école réparatrice de destins
Navigation dans l'œuvre de Paul Le Bohec, pour une école réparatrice de destins

L’ennui à l’école

La société a cru pouvoir faire des économies en négligeant de créer des structures d’enseignement à dimensions humaines, mais elle dépense dix fois plus en policiers, gendarmes, juges, prisons, gardiens, hôpitaux... parce qu’elle a récolté chahut, incivilité, délinquance, maladies, fuite dans la drogue et fuite de la vie.

Que faire devant ce désastre ? Il faudrait revoir entièrement la copie pour mettre l’école en phase avec l’époque. Se placer dans la ligne de la vie, voilà, semble-t-il, la meilleure solution. La vie d’un être ne se développe pas par bonds, mais en continuité. Et l’école actuelle casse le temps à tous les niveaux et en fait des morceaux séparés les uns des autres.
Exemple : la scolarité primaire, une classe avec un maître, puis une autre classe avec un autre maître, puis une autre ... une autre ... et une autre. Par absence de durée, aucune possibilité d’apprivoisements réciproques. Et, à partir de 11 ans, des séquences de 55 minutes de ceci ... 55 minutes de cela ... 55 minutes ... etc.
Avec la semaine de quatre jours, on repart à zéro tous les lundis, à cause de la trop longue coupure du week-end. Et l’évaluation : « C’est étrange, l’enseignement, maintenant ; tu fais un pas, on le mesure... un autre pas, on le mesure... un troisième pas, on le mesure... et ceci, jusqu’à la démesure.
– Dis, Monsieur, quand est-ce qu’on pourra marcher ? »

L’émiettement du temps est tel que l’enfant ne peut se construire des repères, ni édifier quoi que ce soit dans la durée, Pourtant, sa nature le pousse à vouloir se développer et se créer des savoirs pour avoir progressivement plus d’emprise sur le monde où il se trouve plongé.
Quand, au lieu d’un CP « pur », stressante usine à lecture, on se trouve dans un CP-CE1, bien des choses se trouvent facilitées – il n’y a plus qu’une douzaine d’apprentis lecteurs et le CE1 peut continuer à se construire une première maîtrise des langages : écrit, oral, dessin, mathématiques... À ce niveau, peuvent alors commencer à s’installer une orthographe de plus en plus correcte et une pensée personnelle, au sein d’un groupe positif. Dès le premier jour de classe, les choses se mettent en place et le maître qui connaît bien les faiblesses de certains de ses élèves sait où il faut porter l’effort. Aussi, avant la Toussaint, l’affaire lecture est en très bonne voie. Et on voit même des dyslexiques commencer à se couler dans la norme orthographique à la suite d’une grande quantité de textes quotidiens soigneusement corrigés et recopiés.

Ajoutons que de nombreux élèves à l’enfance perturbée se servent intensément alors des langages conquis comme tuteurs de résilience (de résistance aux coups). Ils écrivent, ils écrivent, ils dessinent, ils mathématisent... jusqu’à devenir disponibles pour la connaissance.

Donc, première solution : créer de la durée en organisant une semaine de cinq jours et en privilégiant les classes à deux cours, avec un nombre raisonnable d’élèves. Mais on ne doit pas l’imposer d’en haut ; ce ne peut être que le fait d’enseignants volontaires qui pourraient se co-former. Car il s’agit avant tout de développer un savoir pédagogique qui ne peut s’améliorer que dans la continuité. Ce n’est pas de l’utopie, cela déjà se réalise. Mais il faudrait communiquer les expériences au lieu de les mettre sous le boisseau.

 

Paul Le Bohec

Texte paru dans le Bulletin des Amis de Freinet N°79, Juillet 2003, p.47