Navigation dans l'œuvre de Paul Le Bohec, pour une école réparatrice de destins
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Le texte libre mathématique (La Méthode naturelle)

« En tant qu’une chose est en conformité avec notre nature, elle nous est nécessairement bonne. » Spinoza, Éthique IV

Dans cet ouvrage (1), nous avons appliqué cette conception de l’apprentissage à la mathématique. Mais elle a d’autres domaines d’application. Essayons, pour finir, d’en dégager les éléments principaux.

1 – Pratique personnelle indispensable

2 – Phénomènes de groupe
Nous avons mis tant de temps à nous apercevoir de leur existence que c’est dans ce domaine que nous avons le plus à découvrir.
Le groupe a un rôle considérable à jouer. Il peut être, tout d’abord, un lieu de parole, un lieu d’accueil, un lieu où on peut émettre librement des hypothèses, sans craindre des jugements déprédateurs. Ce qui n’empêche pas la critique de s’exercer, une critique objective qui se focalise très rapidement sur les faits et non sur les êtres. Et, aussi, une critique instantanée qui accélère donc les prises de conscience.
Le groupe fonctionne aussi comme un résonateur. Il amplifie les petites idées, les petits comportements. Il crée des événements forts qui inscrivent fortement les connaissances dans la mémoire.
Cet accueil, ce respect, cette acceptation, cette surprise, cette attente, cette jouissance des idées des autres entretiennent et multiplient les créations.
Chacun se trouve immergé dans une floraison de points de vue inattendus. S’il le veut, il va les visiter pour jouer à voir le monde comme l’autre. Il s’ouvre ainsi de nouveaux espaces ; il peut également rester dans ses obsessions profondes d’où il n’émergera que lorsqu’il aura achevé son exploration. Il aura été continuellement sollicité à s’en extraire par le comportement des autres qui ne se soucient nullement de le sortir de ses « tourne en rond » mais qui vivent leur vie sans se préoccuper des conséquences. Chaque création choisie est travaillée, triturée, percutée par « l’analyse » du groupe. Elle est saisie, partagée, capturée par le groupe qui en tire un miel positif. Ce qui fait que chacun peut sortir de ses habitudes, de ses routines, de ses obsessions, de ses enfermements, mais seulement quand il se trouve mûr.
Inversement, un superficiel, un papillotant, un instable d’idées peut s’accrocher un peu plus longtemps à l’une ou à l’autre, à la suite d’une forte réaction positive du groupe qui lui a fait entrevoir le plaisir intense qu’il pourrait en tirer.
Bref, on le voit, un respect des personnalités et un enrichissement réciproque. Le maître a un rôle important à jouer pour que le groupe devienne et demeure positif. Il doit protéger la liberté des individus, canaliser le dominant, entendre le faible, apprendre à ne pas se précipiter, acquérir le plaisir du « politique ». Il faut qu’il soit formé, auto-­formé, co-formé à la perception des phénomènes de groupe pour mieux les maîtriser et les rendre bénéfiques.

3 – Références
Il est évident que chacun ne va pas réinventer le savoir de l’humanité toute entière. Un peu partout, du savoir se trouve accumulé. On doit pouvoir y accéder librement.
Le premier détenteur de savoir, celui auquel on recourt immédiatement, c’est soi-même. On ne veut devoir son savoir qu’à soi seul. Pour être le moins possible sous la dépendance du pouvoir que donne le savoir aux autres. C’est pourquoi on se réfère toujours, en premier lieu, à ses souvenirs, à ses découvertes, à ses carnets.
Quand la question est très forte et qu’on ne trouve pas d’issue, on peut accepter d’avoir recours aux « pairs ». Ils ne sont pas trop dangereux.
Recourir au maître, c’est, parfois, risquer de voir se trouver réactivés des problèmes liés à l’autorité familiale. Les livres, les fichiers, les livrets programmés, les logiciels sont beaucoup plus inoffensifs.
Quoique, dans ce dernier cas, l’auteur du logiciel vous prend solidement en main. Dans quelle intention ? Dans quelle conception du cheminement à réaliser ? Là aussi, il faut être libre de ses recours.
Sur ce chapitre des références, c’est le maître qui doit en organiser le libre accès tout en sachant que l’information n’est jamais qu’un premier degré de savoir.

4 – Spécificités physiologiques
Chacun de nous est différent. Nos particularités proviennent en grande partie de notre code génétique. Si on est droitier ou gaucher (de l’œil, de la main, du pied), visuel ou auditif, analyste ou intuitif, sérialiste ou globaliste, à champ de conscience étroit ou large, à réaction lente ou rapide etc., ce n’est pas parce qu’on l’a choisi. C’est une donnée de base de notre être dont il faut bien s’accommoder au mieux, dont il faut même tirer le meilleur parti et que le groupe peut utiliser pour un meilleur rendement général.

5 – Particularités psychologiques
Dans ce domaine, les différences sont encore plus sensibles. On peut être sentimental rêveur (ou affectueux ou ombrageux ou rigide), passionné conciliant (ou tourmenté ou impétueux ou sévère) nerveux indiscipliné (ou..., ou..., ou...) nonchalant, inhibé, flegmatique, exubérant, actif, jupitérien, uranien...
Mais tel que l’on est, on peut être utile au groupe. C’est qu’il y a deux façons d’avoir de la valeur : une valeur personnelle, individuelle. Et une valeur-dans-le-collectif. Cette valeur en tant qu’être social n’est jamais prise en compte. Cependant, une fois de plus, c’est tel que l’on devient qu’il faudrait dire. Si on est réaliste, ergoteur, pointilleux, organisé,... ça peut être à cause de notre vécu affectif ou des habitudes que notre milieu de vie a contribué à installer en nous. L’exemple des autres peut nous apporter des occasions de transformations. On peut être introduit à de nouveaux comportements à la suite d’une collaboration à dix, d’une communication, d’une recherche collective, d’un autre style de groupe... On peut se réajuster.

6 – Circonstances
On ne peut utiliser la méthode naturelle en n’importe quelles circonstances. Il faut un minimum de conditions favorables : nombre d’enfants, place, temps, etc. On peut souvent organiser les circonstances : travailler en demi-groupes, modifier la géographie de la salle ou l’emploi du temps, permettre la levée de parole, ouvrir l’accès aux références... et lutter sur le plan politique.

Paul Le Bohec

Texte paru dans le nouvel éducateur n°184, octobre 2007, p.32-33

(1) LE BOHEC Paul, Le texte libre mathématique, éditions Odilon mai 1997, éditions ICEM 1993 1997 2008, éditions Odilon décembre 2015.