Vous avez dit :
« J’aurais tant voulu avoir une sœur », et plus qu’une parole c’était un cri et un cri de douleur qui m’a bouleversé et désolé même à cause de mon impuissance devant tant de détresse.
Mais non, ce n’est pas vrai ; je puis quelque chose pour vous et cette pensée me tranquillise. Depuis quelque temps, en effet, j’ai découvert le moyen de mettre un terme à bien des souffrances secrètes, inavouées, même à soi-même.
Vous aviez des frères et cela ne vous a pas suffi. Peut-être vos frères n’étaient-ils pas assez fraternels : vos soucis les laissent indifférents ; vos peines leur étaient incompréhensibles, vos angoisses étonnantes et peut-être même, par moquerie, avaient-ils pris un masque d’insensibilité qui vous blessait cruellement et vous faisait vous replier davantage encore, sur vous-même. Vous en avez souffert et vous en souffrez encore puisqu’il a suffi d’une minute de sympathie attentive de notre part pour que vous exprimiez votre douleur.
Comme elle aurait été douée, la sœur que vous auriez aimée. Elle vous aurait ressemblé au point que vous auriez pu lui dire toutes vos pensées pour qu’elle les comprenne aussitôt. Elle aurait senti comme vous, elle aurait partagé et vécu même votre vie intérieure ; elle aurait été pour vous la plus parfaite des confidentes. Car, c’est bien cela que vous recherchez : une possibilité de confidence, et votre souffrance est faite de l’impossibilité où vous vous trouvez d’exprimer à un autre vous-même tout ce que vous ressentez.
Vous vous plaignez d’être démunie et pourtant vous êtes riche et même, à côté de tant d’êtres qui souffrent de solitude, vous êtes une des plus richement dotée.
En écrivant cela, je ne pense pas à votre délicieuse Brigitte car elle n’a que trois ans et demie : c’est une richesse qui s’accroît, c’est une promesse de bonheur futur. Mais, dans le présent, vous cherchez des confidentes et votre classe en est remplie. Confiez à vos élèves vos peines et vos joies ; osez être vous-même devant elles et votre confiance attisera leur confiance ; elles aussi vous diront à leur tour leurs peines et leurs joies, et vous et vos élèves serez comme des sœurs et votre classe sera un foyer accueillant où l’on sera détendu et délivré, heureux.
Allez à elles directement ou indirectement si vous avez cette pudeur de sentiment justifiée par tant de rebuffades – et elles viendront à vous soit directement par la confiance chuchotée, soit par des dessins libres, des textes spontanés ou par la poésie : cette merveilleuse poésie qui permet de tout dire. En un mot employez des techniques Freinet, les seules qui soient vraiment libératrices, et si je vous le dis ce n’est pas par vain souci de propagande, mais parce que ces techniques ont fait de moi un instituteur et un homme heureux.
Je voudrais pouvoir dire aussi combien on peut être heureux d’appartenir à un mouvement ample, profond, étendu comme celui de l’École Moderne. Je n’ai assisté qu’à un congrès, celui d’Angers, mais j’ai eu l’impression d’y vivre quelque chose de grand. On y sentait une telle tension vers un même but, une telle communauté de sympathie pour l’enfant que j’en ai été remué. L’homme doit être un animal social qui trouve son bonheur en s’intégrant à quelque chose de plus grand que lui-même, en faisant partie d’un clan, d’un groupe, d’une foule.
Faites comme Desnos :
– Moi, je regardais les arbres en fleurs
La rivière passer sous le pont.
Et soudain j’ai vu que j’étais seul.
Alors, je suis rentré parmi les hommes.
Soyez des nôtres.
Paul Le Bohec
Texte paru dans l’éducateur N°1, 1er octobre 1953, tribune de nos lecteurs, p.9.