(Chantal Bosseur, éditions Seghers, 224 pages, 1974)
L’anti-psychiatrie ne laisse pas indifférent, elle suscite autant les controverses que l’intérêt le plus passionné. Ce qui faisait d’ailleurs dire à Maud Mannoni que le phénomène de l’anti-psychiatrie était un symptôme dans la crise actuelle de la psychiatrie dans le monde entier.
Ce terme d’anti-psychiatrie, proposé par le Docteur David Cooper, désigne aujourd’hui l’ensemble des recherches de l’équipe de la Tavistock Clinic de Londres sur les schizophrènes, les familles de malades et leurs expériences communautaires. On considère le docteur Ronald Laing comme l’une des têtes de ce mouvement.
Depuis quelques années on a pu en France lire les études qui ont été tirées de ces expériences : Mort de la famille, de David Cooper ou Voyage à travers la folie, de Mary Barnes.
Mais le terme d’anti-psychiatrie a été trop souvent synonyme de contestation, voire de scandale, parce que nous n’en connaissons, le plus souvent que le côté anecdotique. À l’exception des ouvrages traduits en français, nous ne possédons aucun document qui pourrait nous donner une vision globale et synthétique de ces recherches.
Le propos de ce livre est donc de présenter aux lecteurs français la démarche, les questions et les quelques réponses de l’équipe de la Tavistock Clinic. Les anti-psychiatres ne cherchent pas une nouvelle « explication » de la folie, une nouvelle étiologie, une nouvelle origine ou cause de la maladie mentale. Ils cherchent à retourner la situation traditionnelle normal-anormal, fou-non fou : ce que nous croyons être la santé mentale n’est en réalité qu’une aliénation, tandis que la folie, la maladie mentale, est une crise normale dans l’évolution de certaines personnalités. La psychiatrie n’appartient plus au champ clos des spécialistes : elle interroge tout à la fois et notre culture et l’expérience que nous nous faisons du monde.
Face à la tentation d’uniformisation totale, Laing demande qu’on reconnaisse la subjectivité et qu’on lui donne une place plus importante que celle qu’elle occupe de nos jours.
À mon avis, il faudrait lire et reprendre souvent ce livre parce qu’il éclaire l’idéal d’attitude que nous essayons confusément d’atteindre. Je vous livre quelques maigres citations pour nous permettre de vous en faire une idée.
« La personne n’existe pas en soi, elle est un nœud de relations. »
« L’état normal, c’est être à ce point immergé dans les fantasmes sociaux qu’on les croit réels. »
« Toute connaissance ne peut être que connaissance critique : objet à étudier et méthode utilisée sont inséparables. »
« Pour Laing, très souvent, ce qu’on appelle amour est une violence. Si nous nous détruisons nous mêmes et que nous détruisons les autres c’est parce que nous avons été nous mêmes détruits au nom de l’amour. »
« Nous avons appris, par un tour de passe-passe extraordinaire, à aimer ce qui nous a détruits. »
« La famille est une prétendue réalité. L’un des tabous majeurs de la famille n’est pas le tabou de l’inceste mais « l’implicite prohibition de l’autonomie ». Autre tabou : la tendresse. »
« L’amour, tout comme certaines formes de psychothérapie est subversif pour l’état bourgeois. »
« La révolution ne peut commencer que par des expériences pré-révolutionnaires à l’échelle micro-sociale au sein de groupes ou de communautés qui dénoncent les fonctions idéologiques et répressives de la famille et des autres institutions sociales dont l’école. »
« Le caractère révolutionnaire de ces groupes repose sur l’explosion de la contradiction entre la société bourgeoise qui maîtrise tout, qui rend les gens anonymes, les ordonne, les range en catégories et ces gens, justement qui, malgré tout, veulent crier leur nom et annoncer leur œuvre à la face du monde. »
« La famille est un « fantasme non reconnu » et partagé par ses membres plutôt que comme une réalité. Le drame des membres de ce groupe vient du fait qu’ils n’éprouvent pas la famille comme une modalité de fantasme, mais comme une réalité. »
« Ce que nous considérons comme naturel n’est-il pas, en fait, un produit culturel, social, d’une loi profondément implantée, « programmée » en nous. Nous avons appris à croire « naturel » ce qui n’est que règles apprises depuis notre enfance. »
Paul Le Bohec
Texte paru dans l’éducateur n°1, rubrique Livres et revues, 10 sept 1975, 3ème de couverture