Voilà une question que l’on se pose souvent. Il serait peut-être intéressant d’y réfléchir vraiment pour savoir si ce phénomène est bénéfique ou non. Mais, au fait, existera réellement ? Au premier abord, il semble que l’on puisse répondre par l’affirmative. En effet, on entend souvent dans les Congrès : « Tiens, cela doit venir de chez Hortense, de l’École Freinet, de Pitoa, de chez Madame Barthot... »
Cependant, en examinant la production de ces écoles sur plusieurs années, on distinguerait peut-être, comme chez les grands maîtres, des époques de création. Dans beaucoup « d’écoles artistes », c’est indéniable, il y a un style de classe. Mais pourquoi ?
1 Les enfants, uniformité des âges, du milieu géographique et social
Essayons de débroussailler ce problème en associant expérience et réflexion.
– À l’origine, il y a le fait même de l’école qui rassemble, dans un même local, des enfants d’âge équivalent et par conséquent de maturités et de possibilités sensiblement équivalentes.
2 L’instinct d’imitation limite l’invention personnelle
Il y a l’instinct d’imitation. À ce sujet, il faut relire ce qu’en dit Freinet dans « Psychologie sensible » et plus particulièrement les passages suivants :
« L’acte réussi appelle automatiquement sa répétition. L’acte réussi par d’autres entraîne la même répétition automatique lorsqu’il s’inscrit dans le processus fonctionnel de l’individu. »
« L’imitation n’est jamais l’effet d’une décision concertée. Elle ne demande jamais aucun effort particulier. »
« L’exemple... tend à se fixer tel quel, en automatisme qui crée une tendance et suscite une règle de vie parfois indéracinable. »
« Mais, on n’imite pas indistinctement tous les gestes dont on est témoin :
- l’exemple n’est imité que si la chaîne est encore en cours de formation. Si elle est définitivement fixée en règle de vie, elle est imperméable à l’exemple.
- l’exemple est d’autant mieux imité qu’il s’inscrit plus facilement dans la série de nos expériences tâtonnées. »
On comprend que, lorsque de jeunes enfants sont réunis dans une classe, ils sont dans les conditions requises pour intégrer l’expérience d’autrui ; surtout si l’on considère que c’est à l’école qu’ils accèdent, généralement pour la première fois, au monde de l’expression graphique.
3 Les outils et techniques sont limitatifs eux aussi
– Il faut également considérer un troisième point :
Les techniques employées sont elles-mêmes limitatives. Sur le plan de la couleur, par exemple, les poudres CEL permettent une infinité de combinaisons ; mais c’est un infini limité, dans ce sens qu’elles ne permettront jamais d’obtenir des effets d’encre de Chine, de peinture à l’huile, d’émail, de fusain...
Il y a aussi les outils. Si l’on travaille uniquement avec des pinceaux, on peut aller jusqu’au bout des possibilités de ces outils mais on n’obtiendra pas ce qu’on obtient avec des craies d’art, des stylos-feutres, des plumes...
Il y a aussi les supports : papiers, tissus... les formats...
Chaque technique permet donc une progression dans un seul secteur de l’éventail maximum des possibilités de création. Se limiter à une technique, c’est limiter la progression.
4 L’influence du maître peut paralyser l’invention personnelle
– Il y a un quatrième facteur de l’enchaînement de la classe à un certain style : le maître. Si sa conception est étriquée, si son angle de vision est petit, s’il est lui-même enfermé, il est évident que, sauf accident, la classe tournera en rond sans jamais atteindre la vitesse de libération. L’étroitesse d’esprit comme la générosité du maître se manifestent dans les outils qu’il offre, la place qu’il donne, le temps qu’il permet et les genres qui lui plaisent.
5 L’éventail des thèmes d’inspiration est peu ouvert
– Enfin, à mes yeux, il y a un autre facteur qui est d’ordre psychologique. C’est mon expérience personnelle qui m’y fait penser. En effet, dans ma classe, où règne pourtant une grande « liberté littéraire », les mêmes thèmes de l’oiseau et du petit garçon refleurissent chaque année. Il ne faut pas s’étonner que des enfants, vraiment libres de leur sujet, choisissent des thèmes qui correspondent si parfaitement à leurs personnalités profondes.
6 Le facteur psychologique nous livre les impondérables des personnalités qui ne peuvent éclore que dans un climat de subtilité
Les thèmes qui refleurissent chaque année nous livrent des données affectives, intellectuelles, qui varient d’une année à l’autre. Si l’enfant, dans la création, reste identique à ce qu’il fut, ou même plus pauvre, c’est qu’il y a perte d’élan. Piétinement à corriger.
C’est ici qu’est grande et subtile la part du Maître : il faut à tout prix briser l’étau et ouvrir le champ émotionnel en orientant l’enfant vers une création plus éloquente, plus décorative, plus complexe contenant des éléments nouveaux susceptibles de devenir facteurs d’équilibre.
Le style ne doit pas être le signe d’un automatisme, mais bien la lame de fond qui alimente sans cesse le courant de surface.
Paul Le Bohec
Article paru dans Art Enfantin n°26-27, novembre 1964-février 1965