Extraits d’une table ronde organisée par le secteur Arts et Créations, Journées d’étude de Biarritz, Avril 1997
Hervé Nunez : Faire des arts plastiques, c’est proposer une définition de soi-même par la forme.
Ce qui est aidant :
– c’est le désir de l’enseignant,
– la mise en présence d’un large éventail de matériel et donc de possibilités d’action et d’appropriation.
Paul Le Bohec : C’est vrai que le désir est capital mais il doit aussi être tous azimuts. Or le dessin, le texte libre sont quelquefois des thérapies pas de l’art. Parler de forme, c’est déjà restrictif. La pédagogie Freinet, c’est la prise en compte de la globalité, l’ouverture à des sensations et à des sentiments.
Marie Hélène Rault : Mais, peut-on parler d’art avec des enfants ? Au niveau des adultes, l’art est une sublimation et non une thérapie.
Pierrette Capdevielle : Pourtant on est saisi par l’évidence, quand on voit un enfant en difficulté psychologique, s’en libérer par le dessin, sans aucune consigne, sans aucune technique.
HN : Cet aspect thérapeutique de l’expression n’est pas spécifique des arts plastiques, il concerne toutes les actions de l’enfant et un des rôles de l’instituteur, c’est d’être attentif à ces signes. Quand il est l’artiste, il n’est ni un enfant, ni un schizophrène : il se regarde saisir le monde et produit une œuvre en conséquence. En tant que pédagogue Freinet, je veux que l’enfant développe une capacité globalisante d’exprimer son rapport au monde, capacité qui n’ignore pas le rôle thérapeutique de l’image mais qui se développe en sortant des stéréotypes et des normes consuméristes. Pour parvenir à cet objectif, soit je laisse agir, soit je provoque en proposant un protocole d’expression : je pointe du doigt ce que je souhaite donner à voir.
MHR : Il y a une évolution que l’on doit considérer comme nécessaire dans la réalisation de formes « ressemblantes » chez l’enfant.
PLB : Est-elle spontanée ou induite par le milieu ? Si elle est induite, il faut agir contre.
HN : La ressemblance est une notion culturelle qui varie avec le lieu et l’époque. Ce qui est premier, c’est de laisser une trace puis de réaliser un effort de symbolisation.
PLB : Il faut ouvrir toutes les pistes : trace visuelle mais aussi sonore, mais encore mathématique, etc. Il faut écouter les enfants et construire. L’instituteur doit être prêt à tout entendre, c’est une partie de sa part de maître. Notre formation, c’est d’apprendre à multi-jouir. « Ouvrons aussi l’œil aux bruits. »
HN : Quand je parle de forme, ce n’est pas forcément visuel, mais je veux aller plus loin que le dessin libre. Je veux rendre l’élève attentif au monde et à sa place dans le monde.
MHR : Pour passer de l’expression inconsciente à la sublimation de l’art, il faut une intention, une communication. C’est la parole ou la pensée qui crée l’objet a posteriori pour l’enfant. L’artiste, lui, a une pensée a priori.
Plusieurs : L’artiste exploite aussi le hasard.
PLB : Quand il a accumulé beaucoup d’expériences personnelles, alors l’enfant aussi peut maîtriser son art.
P : Cédric ne dessine que des petites maisons (à raconter...)
PLB : Il s’ouvrira quand il aura usé son fantasme, quand il réussira à sublimer au lieu de subir, en utilisant une forme admise par la société comme l’a fait Rémi. C’était un enfant dyslexique, au centre de ses peurs. Peu à peu, il les a sublimées. Il est passé de l’autre côté. Au lieu de subir ses peurs, il les a flanquées aux autres dans des textes à suspense dignes d’Hitchcock qui était lui-même un trouillard.
P : Parce que tu as laissé faire ?
PLB : Parce que j’ai accueilli et parce qu’il y avait les autres. Et en plus son orthographe s’est améliorée. Cette amélioration est venue en bénéfice secondaire. J’avais principalement souci de l’expression.
R : Il y a un autre chemin que le laisser-faire, c’est le projet construit par les élèves (à raconter...)
PLB : La méthode naturelle, c’est de ne plus faire classe mais de vivre. Il faut se donner cette liberté, en théorisant nos pratiques afin de faire face et de résister à l’administration et au milieu ambiant. Il faut échanger et se co-former plus souvent.
Quelqu’un : Déjà, s’il y avait un atelier peinture dans toutes les classes, le maître aurait commencé à jouer son rôle.
MHR : Mais où est la part du maître quand il crée un atelier peinture et qu’il ne va jamais voir ce qui se passe ?
HN : Il m’arrive de proposer des choses qui ne plaisent pas tout de suite à l’enfant. Mais un jour un élève de troisième m’a dit après la fin de l’année scolaire : « Vous nous avez « pris la tête » mais ce qu’on a fait je m’en souviendrai toujours... »
PLB : Tu prends tes responsabilités. Il faut contre-conditionner les enfants et non pas les laisser libres. Il faut faire le forçage de la liberté. Il y a des expériences nécessaires, des domaines où ils ne vont pas spontanément.
Quelqu’un : Pour Rémi, ça n’est pas vraiment du laisser-faire.
MHB : Dans la classe Freinet, on organise des espaces d’autonomie, mais il y a aussi nécessité d’accueillir et de parler des productions pour les faire vivre.
PLB : Et de les afficher en ouvrant des pistes. À quoi sert le maître ?
– à fournir le matériel,
– à dire si c’est chaud ou froid,
– à être surpris par la découverte de l’enfant.
Conclusion : De cette table ronde, nous sortons enthousiastes, passionnés, confortés dans nos positions, mûris, ouverts, dépités de ne plus vivre ce qu’on vivait autrefois, rassurés… d’oser prendre des risques !
Texte paru dans Coopération Pédagogique n°93, juillet 1997