L’ennui à l’école ?
Comment peut-on s’y ennuyer quand on a, dès le second cycle, la possibilité de commencer à explorer les 7 dimensions de 7 langages ?
7 dimensions :
Expression Communication Description Argumentation Métalinguistique Poésie Phatique
7 langages :
Écrit Oral Chant Dessin Peinture Mathématiques Corporel
Et quand on peut trouver ce que cherche toujours l’être humain :
Survivre Exister Risquer Régresser Montrer Voir Subir Salir Revivre pour Rattraper et Re-jouir
La société a cru pouvoir faire des économies en ne se préoccupant pas de créer des structures d’enseignement humaines. Et maintenant elle dépense dix fois plus pour contrôler, surveiller, juger, condamner... Il lui faut multiplier les forces de police, les gendarmes, les juges, les prisons... Et ce sont ceux qui n’ont pas pu connaître des voies de réalisation personnelle et qui ont été contraints de choisir des solutions à défaut qui paient dans leur être et font payer des quantités de gens qui n’y sont pour rien.
Mais ce colloque « l’ennui à l’école » ?
Bizarre.
Est-ce qu’on commence à prendre conscience de la réalité ?
Dans le bref compte-rendu, on parlait de créativité et du non ennui de l’enseignant. Cependant, on peut être tranquille : on va donner la parole à des profs de philo et autres universitaires qui, parce qu’ils ont bricolé plus ou moins valablement dans leur pré-carré de 1m x 1m, se croient de ce fait autorisés à juger de toute chose.
Je ne veux pas me contenter de « paroles verbales » mais apporter des documents en illustration des sept dimensions des langages. On pourrait penser que j’aurais pu apporter le texte qui correspondait à chacune des dimensions.
Impossible, les choses ne sont jamais simples, unilinéaires. Ce sont à chaque fois plusieurs dimensions qui se trouvent explorées dans n’importe quel texte. Mais on peut repérer des dominantes.
Je présente donc quelques textes libres pris dans diverses classes :
« Maintenant, je ne veux plus être une virgule, je veux être un point. Comme ça le maître et les autres ne se moqueront plus de moi. » (Nathalie, CM1)
« Les oliviers sont beaux en toute saison. Les oliviers donnent des olives. Un jour, un olivier donna des cerises. Et il devint tout rouge. Les gens disaient qu’il était malade. Et ce pauvre olivier mourut avec autour de lui le chant des oiseaux de bonheur. » (Isabelle, 7 ans)
Le petit frère s’appelle Olivier.
« Li tiaté enu siof nu uaepahc.. »
« Mar mi te ... te mi mar ... mi te mar ... te mar mi ... je ne trouverai pas le mot marmite car la marmite a disparu. »
« Une moule a trouvé sa maman. La fanfare dirige le chef. La viande met la dame à cuire. Le bois met la pointe dans le menuisier. » (Pascal, 10 ans)
« Je mange avec un chiffon. Je baille comme un paillasson. Je m’habille avec des portières. Je coupe du papier avec des chaussettes. Le président discute avec un veau pas né. Et moi je fais tout à l’envers. » (Michel A., 10 ans)
La métalinguistique (On se sert de la langue pour réfléchir sur la langue.) apparaît chez ceux qui la maîtrisent déjà bien. Ils veulent voir comment elle fonctionne, si l’ordre des signes a de l’importance... etc.
« Le lapin mange le travail de l’homme. Le travail de l’homme, c’est l’herbe et le jardin. L’homme est fatigué de faire le jardin. Pour que les lapins vivent, l’homme doit travailler. Mais, pour travailler, il doit manger. Et, à la fin de l’histoire, le lapin se retrouve dans la casserole. » (Didier, CM1 )
« Trotte ma trottette comme un trotteur. Course ma coursette comme un coureur. Souris ma souriette comme un sourieur. Crois ma croisette comme un croyeur... etc. » (Éliane, 10 lignes en tout)
« Le sourire de ma mère rejoint le mien qui creuse jusqu’au fond des deux cœurs où je découvre la joie qui se relie et nous nous embrassons. » (Ginette)
« Tout est calme. La rivière coule en clapotant. Les oiseaux pipillent parce qu’ils ont passé une bonne nuit ... Et moi, je suis dans la forêt à écouter, à sentir l’odeur du matin qui est encore froide à respirer Mais il n’est pas trop tard pour assister à l’ouverture des fleurs et à la caresse de l’herbe sur mes bottes sèches. Je ne vois rien parce que la brume est trop épaisse, mais j’entends le cri des arbres qui me disent bonjour. » (Monique)
« Mer je te croque entre mes deux mâchoires d’ivoire.
Mer viens près de mon lit que je te caresse
avec mes poings de fer qui te briseront au coup de sifflet.
Mer, mon fidèle rocher te décochera un coup de sabot
pour que tu recules dans ton territoire de coquillages. »
(Jean-Michel)
« L’horreur et l’horreur ! - Qu’est-ce que tu dis ? - Je dis : il y a une horreur ! – Où ça ? - Je ne peux pas te montrer parce que j’ai peur qu’il me mange - L’horreur, regarde l’horreur, cachons-nous, regarde, il est derrière nous. – Beuh ! L’horreur et l’horreur ! – Ah ! Maman, il me suit ! – Attends je vais l’arrêter. – Oh, c’est papa ! (S.B, 8 ans ½)
« Mort, tu cries dans les champs. Tu te faufiles dans les trous de grillon pour après t’enfuir dans les carrières de granit où les pierres entaillent. Tu te jettes sur la route caillouteuse et tu bondis dans l’ajonc qui t’accueille dans ses épines meurtrières. Et tu cries comme un enfant sans sa mère comme si c’était la fin. Mais tu reprends vie. Et tu recommences comme la poussière qui se colle à l’homme, comme les griffes d’un félin dans la peau d’un animal vaincu ; comme une aiguille dans des haillons pourris. » (Yvon, 11 ans)
Extraits de « le texte libre ... libre » (Éditions Odilon, 89 100 Nailly)
Il ne manque que le phatique (où, pour être en phase avec le groupe, on se sert de mots qui n’apportent pas d’information). Il est plutôt du domaine de l’oral : « Hé bé ! Bravo ! Super ! Génial ! ... » Mais il apparaît peut-être également dans les maths, le corporel... qui sait ?
Il est certain que, lorsque les enfants sont vraiment libres de leur expression, et quel que soit le langage abordé, ils en explorent un maximum de dimensions. Ils s’en servent au mieux de leurs intérêts et de plus en plus, maintenant comme tuteurs de résilience. Il ne reste plus qu’à créer les conditions de leur liberté.
Paul Le Bohec, La Mézière
Texte paru dans Coopération Pédagogique n°121, février 2003