Message de Paul à Pascale Borsi diffusé sur la liste Freinet
Je récris ma réponse à ta question : quels seraient mes outils aujourd’hui ?
Si je le pouvais, dans mon CP-CE1 je ferais l’économie du quoi de neuf, du conseil, de la pédagogie institutionnelle, des exposés, de la correspondance, du journal scolaire, du téléphone, de l’atelier de philo, de l’ordinateur pour des élèves si jeunes (ils ont le temps)... Pourquoi se contenter de faire se lever des embruns de parole quand pourraient surgir des lames de fond ?
Je ne travaillerais pas sur le symptôme en essayant de faire exister ensemble des enfants qui n’ont pas encore commencé à exister individuellement.
Les six langages :
Pour l’écrit, je garderais ma pratique habituelle : textes libres quotidiens ; peu de nouveau si ce n’est que j’afficherais en haut du mur, à la suite, chaque texte du jour de la classe pour constituer le répertoire affectif de formes et de sentiments.
Pour l’oral, toujours la même demi-heure quotidienne de techniques parlées. J’aurais toujours un magnétophone. Il ne m’avait servi en fait qu’à communiquer aux copains nos étonnantes expériences. Cependant, en deux circonstances, sans cet appareil, nous n’aurions pas vu se lever ces deux paroles saisissantes : « le petit balai » et « y avait de la neige ». Mais je laisserais toujours venir les choses ; la parole ne se lèverait que lorsqu’elle se sentirait mûre.
Pour le chant : cet appareil n’est pas nécessaire en cycle 2, la créativité est si forte dans ce domaine. Cependant, comme on en est resté, à l’ICEM, au stade de la consommation dans ce domaine, il serait peut-être utile de communiquer nos expériences pour se préoccuper de production-création.
Pour les maths, pas de changement : toujours expression-création. Cependant, davantage de cartons, scotch et ciseaux pour les applicateurs industriels éventuels de la « théorie » exposée et discutée.
Pour le corporel, pas besoin de caméscope pour enregistrer des créations. À quoi ça servirait pour la classe ? Au cycle 2, l’énergie créatrice est débordante. Cependant, pour relancer dans l’ICEM cette idée de méthode naturelle de corporel (intellectuelle, mathématique, pulsionnelle, structurelle, affective, symbolique, expérimentale, individuelle, collective....) qui date de 40 ans et n’a jamais été reprise, il faudrait apporter de nombreux témoignages.
Enfin, je fournirais en abondance carnets et stylos bic noirs car après l’expérience de Michelle Le Guillou : « Qu’ont-ils fait du dessin ? », j’ai enfin compris ce que pourrait être le domaine infini de cette activité.
Je serais toujours aussi handicapé sur le plan de l’installation pérenne d’un atelier peinture. Pas trop grave. J’aurais encore un planning de lancement, une cage à fils pour le tâtonnement dans l’espace. Je tricherais sur l’évaluation parce que l’administration triche. Je continuerais à protéger, défendre, armer les enfants. Tu vois c’est simple et facile.
Mais j’ai dit au début : « Si je le pouvais... ». J’aurais toujours la même passion de liberté pédagogique, mais est-ce que je n’en serais pas réduit, comme tant d’autres... Non, j’aime mieux passer à autre chose.
Toutes amitiés et courages... pour faire sauter tout ce qui t’entrave.
Paul Le Bohec
Texte paru dans Coopération Pédagogique N°130, Février 2004