Je me suis parfois demandé ce que pourrait être une méthode naturelle de sciences. Mais j’avais des 6-9 ans et je n’ai pas pu l’essayer parce que nous avions à ce niveau beaucoup d’autres choses à faire.
Devant le planning de lancement, j’aurais lancé un défi :
– La classe est-elle capable de produire dix textes libres scientifiques ?
– Qu’est-ce que c’est monsieur ?
– C’est un texte qui commence par « Pourquoi » ou « Je crois savoir comment ».
Et évidemment le brevet de la classe aurait été vite obtenu. Et l’éventail des travaux individuels aurait été plus ouvert.
Pour moi, c’eût été une nouvelle application de la méthode naturelle. Ça aurait fonctionné parce que ça marchait déjà avec les maths.
À cause de la globalité de l’être on aurait eu du texte poétique, du rigolard, du scientifique, du philosophique, etc. En voici deux :
« Pourquoi les poules sont poules et non pas vaches. Pourquoi ça parle pas et ça marche ? » Yvette CM1
« Le ciel me fixe les yeux comme s’il ne m’avait jamais vue. Je me demande comment quand je marche, lui me suit. » Joëlle CM1
En maths, chaque création était une théorie qui faisait réagir le groupe.
« Le réel ne sert qu’à la vérification de notre conceptualisation. » Bachelard
« La théorie précède toujours l’observation. On ne va donc pas de l’observation à la théorie dans un mouvement de généralisation. On part de la théorie et on ne se sert de l’observation que pour tenter de l’infirmer. » Popper
Paul Le Bohec
La science et nous
Je cite un passage de « La Connaissance de la Connaissance » d’Edgar Morin parce qu’il nous convient, qu’il confirme l’idée de Freinet sur la nécessité de prendre en compte la complexité et qu’il pourrait nous aider à nous défendre et à avancer :
« Ainsi tout événement cognitif nécessite la conjonction de processus énergétiques, électriques, chimiques, physiologiques, cérébraux, existentiels, psychologiques, culturels, linguistiques, logiques, idéels, individuels, collectifs, personnels, trans-personnels et impersonnels, qui s’engrènent les uns dans les autres. La connaissance est donc bien un phénomène multidimensionnel, dans le sens où elle est, de façon inséparable, à la fois physique, biologique, cérébrale, mentale, psychologique, culturelle, sociale. »
Je voudrais signaler un point important que ma pratique de la méthode naturelle de maths m’a permis de repérer dans ma classe de CE1-CE2.
Le processus induction-déduction ne fonctionnait pas, loin de là. Souvent, je m’attendais, comme je l’avais appris, à ce que, après vérification, on retravaille à nouveau le modèle mathématique pour qu’il soit plus en phase avec la réalité. Eh bien ! Non. Après cette première vérification, on abandonnait tout. Et puis, peu de temps après, naissait avec une nouvelle création, une nouvelle hypothèse que certains soumettaient à l’épreuve de la critique et qui n’avait qu’un rapport lointain avec la précédente. À la suite de quel cheminement s’était-elle formée dans un esprit ? Je ne sais, mais je sais que si à ce moment-là, j’avais poussé à une recherche sur ce plan, j’aurais cassé un processus naturel qui semble relever du travail souterrain inconscient de la mémoire (la perlaboration ?)
Est-ce que je n’avais pas perdu là une occasion d’asseoir solidement une notion ? Eh bien, non car en travaillant ainsi, jour après jour, on voyait non seulement, soudain réapparaître, une sœur ou une cousine de la première hypothèse mais on y revenait parfois si souvent que la notion se trouvait d’autant plus facilement assimilée que l’affectivité était entrée en ligne de compte.
Je pense bien que, seuls, ceux qui peuvent se permettre d’expérimenter sur un assez long bout de temps cette conception méthode naturelle de l’enseignement, feront la même constatation de la prééminence de la création à source floue et de la nécessité de laisser un peu aller les choses à leur gré.
Il faut sans doute disposer et se donner des conditions assez exceptionnelles. Mais c’est toujours de cette façon, par audace et hypothèses d’enseignement invraisemblables, que le mouvement a avancé.
En fait, je ne l’ai vérifié que pour les maths. Mais : « C’est dans le domaine mathématique que sont les sources de la pensée expérimentale contemporaine. » Bachelard
Paul Le Bohec
Suite des réflexions de Paul au sujet de la science
J’ai une position qui semble certainement extrémiste ?
La science ne peut être qu’hypothético-déductive. Certes les sources des créations maths sont parfois une réaction aux surprises du réel, ou dues à l’envie de prolonger une première approche, ou à une rêverie, comme ça, à partir d’on ne sait quoi ou pour voir les réactions des copains etc.
Popper dit : « La théorie précède toujours l’observation. »
Une piste intéressante : quand Michel Barré apporte ses aimants et boussoles, n’est-ce pas lui qui propose. Bien sûr la tentation est grande, et j’y ai beaucoup cédé, de vouloir se saisir des occasions pour étudier telle ou telle chose. Mais le groupe et les individus y sont-ils prêts, sont-ils en phase ? Tandis que si on flanque les créations maths au tableau, des choses se passent totalement inattendues, mais en phase avec le groupe puisqu’il réagit comme ceci ou comme cela ou pas du tout.
Paul Le Bohec
Réflexions parues dans Coopération Pédagogique n°131, les sciences en débat, mars 2004