On me dit souvent : « Oui, c’était bon de ton temps. Maintenant les enfants sont différents. »
Ce à quoi, je réponds : « Peut-être, mais l’être humain, lui, n’a pas changé. »
Et il est toujours le même avec tout son arsenal de pulsions. J’ai essayé de les cerner en établissant une liste de « ce que cherche l’être humain » : Survivre, exister, risquer, régresser, montrer, voir, subir, salir (détruire), revivre pour réparer (rattraper) et re-jouir. Si on laisse ces pulsions aller jusqu’au bout, on entre dans la barbarie. Il faut, comme le dit Michel Onfray, les réduire à des formes élégantes. Par exemple, le voyeurisme et le sadisme sont punis par la loi, mais le voyeur peut devenir observateur scientifique et le sadique peut devenir sculpteur. Pour le bien de chacun et de tous. Que peut faire l’école à ce sujet ? Énormément.
Prenons l’exemple de la pulsion de meurtre qui est si partagée (complexe de Caïn).
À la naissance de son petit frère, Loïc devient bègue. Je souffre pour lui de son infirmité. Mais moi, simple instituteur, qu’est-ce que j’y peux ? Cela ne ressort pas de mes devoirs ni de mes compétences. Cependant, je remarque que ses textes libres tournent essentiellement autour de sa haine des enfants. Alors, à tout hasard, je fais l’hypothèse d’une jalousie de son petit frère. Cela parce que j’avais connu une famille qui avait conduit un aîné à l’HP. Alors, j’organise une discussion entre des frères aînés. Ils commencent à exprimer l’amour qu’ils lui portent. Mais Loïc se déchaîne :
« Je n’aime pas mon petit frère. Je l’amènerai à la boucherie ou, plutôt, non : je le mettrai dans une cabane à lapin, je lui donnerai de l’herbe et, quand il sera assez gros, tèc ! »
Ainsi, dès la naissance, il a éprouvé le désir violent de le supprimer. Peut-être au point de bégayer pour ne pas le dire (hypothèse hasardeuse) car que pourrait-on penser de lui s’il exprimait son désir. Cela ne se fait pas, il passerait pour un monstre.
Mais, surprise, à partir de ce moment, il ne bégaie plus !
Ainsi, il a réduit sa pulsion à une forme « élégante ». Car, c’est évidemment pour rire, on sait bien que l’on ne met pas des enfants dans des cages à lapin et qu’ils ne mangent pas de l’herbe.
Cependant, la survenue du petit frère avait été un choc considérable et pouvoir dire à mots couverts devant ses camarades qu’il voulait le supprimer a suffi pour qu’il retrouve sa parole d’avant.
Mais, on peut s’y prendre beaucoup plus élégamment.
Nathalie qui n’est pas dans une classe Freinet a demandé à sa mère de lui acheter un cahier. Et elle écrit dessus ce texte :
« Les oliviers sont beaux en toutes saisons
Les oliviers donnent des olives
Un jour, un olivier donna des cerises
Et il devint tout rouge
Les gens disaient qu’il était malade
Et ce pauvre olivier mourut
Avec autour de lui le chant des oiseaux de bonheur. »
Oh ! quel joli texte et quelle belle peinture on va faire à partir de là ! On représentera d’abord l’olivier garni de ses fruits rouges et puis, à côté, le squelette en noir d’un olivier. Et la forme en sera esthétiquement remarquable.
Ouais, le petit frère s’appelle Olivier.
Ainsi, ces deux enfants habités par le même désir de supprimer l’intrus, s’y prennent différemment : l’un a utilisé l’oral, l’autre l’écrit.
Et il nous reste à nous à multiplier l’accès à de multiples langages pour que chacun puisse trouver son outil de libération. Le meilleur moyen, c’est la Méthode naturelle. Il faut surtout comprendre qu’en s’exprimant quotidiennement les enfants en viennent à maîtriser et même à posséder les langages utilisés. Et ils en découvrent toutes les dimensions. Et ce sera autant d’atout pour mieux vivre.
Paul Le Bohec
Article paru dans le Forum Méthode naturelle (inaccessible), février 2008