Navigation dans l'œuvre de Paul Le Bohec, pour une école réparatrice de destins
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L’École Moderne et l’éducation physique

J’ai pu le constater au stage du Château d’Aux, la question de l’Éducation physique est dans l’air, à l’École Moderne. Il faut dire que, jusqu’ici, elle n’avait pas soulevé beaucoup de passion. J’avais bien essayé de poser le problème avec le saut en hauteur, mais personne n’avait répondu à mon appel du pied gauche.
J’ai demandé plusieurs fois à Freinet : quelle est notre position ?
Réponse : méthode naturelle. (Sous-entendu, méthode naturelle de Georges Hébert.)

Mais le monde a bien changé. Sur la question de la transformation du milieu ; de l’absence, pour beaucoup d’écoles, d’un milieu de nature, il n’y a pas à faire de longs développements. C’est d’ailleurs cette transformation qui nous contraint à revoir le problème.
Il faut donc constater, d’une part, qu’il y a évolution et essayer de s’en accommoder quand c’est possible, et il faut lutter avec la dernière énergie, d’autre part, contre les aspects catastrophiques de cette évolution.

Le maintien
Peut-on être contre le maintien ?
Je crois qu’on peut l’aimer si on le comprend. Mais on ne le comprend pas toujours du premier coup. Ça paraît rébarbatif. On pourrait en déduire, puisque ça ennuie les enfants : ça ne correspond pas à leur tempérament, donc c’est nuisible.
Mais la toilette quotidienne, elle non plus, ne plaît pas aux enfants. Pourtant, il faut bien qu’ils s’y astreignent ; puis, ça devient une habitude, un besoin, un plaisir.

Eh bien ! La gym de maintien bien faite, ça peut être cela : la toilette vertébrale. Mais il faudrait qu’elle soit bien faite ! Combien de pauvres gosses restent les bras en croix pendant que le maître corrige les mauvaises attitudes de quelques élèves. L’attention et la tension se relâchent ; les gosses s’épuisent. Et le plaisir se transforme en corvée. On comprend pourquoi certains enfants en ont une sainte horreur.

Et pourtant, le maintien pourrait être excellent. Je pense qu’il pourrait être une sorte de messe vertébrale efficace et bienfaisante. Efficace parce que quotidienne : millimètre après millimètre, on récupère ses possibilités articulaires (voir Biancospino, le rebouteux de Vence, qui, d’un septuagénaire à pas de 10 cm, fait un homme circulant à bicyclette).
Bienfaisant sur le plan psychique. Cette idée m’est venue en revoyant, cet été, la B.T. sonore sur le Japon. La préparation du thé, c’est une cérémonie religieuse à laquelle on se livre lorsqu’on a besoin de se reprendre, de se ressaisir. Cela fait penser aussi au Zen, à la gymnastique lente des Chinois.
Nous avons beaucoup à apprendre de l’Orient sur le plan psychique, et si nous pratiquions régulièrement nos cinq minutes de maintien physiologique et mental, nous nous en trouverions certainement bien.
Si nous pouvions en donner le goût à nos élèves ! Ils ont et ils auront besoin d’apprendre à se ressaisir pour lutter contre la dispersion provoquée par l’actuelle civilisation. Je crois donc que le maintien peut trouver sa place en classe.

Cependant, il y a dans la gym de maintien quelque chose de rebutant et d’illusoire. S’il faut, pour chaque geste de la vie, avoir des tables comme ceci et des chaises comme cela, mettre les pieds ici et les mains là et ne penser qu’à ça, alors, certes, on gagnera peut-être sur le plan physique, mais à quel prix cela se paiera-t-il ?
Nous n’obtiendrons de résultats sûrs dans ce domaine que lorsque nous aurons réussi à intérioriser le désir du maintien. Mais n’y a-t-il pas un âge pour cela ? N’est-ce pas à la puberté que l’enfant a le plus le souci de beauté plastique ? Mais la puberté, n’est-ce pas trop tard ? Non peut-être, si une véritable éducation physique a été réalisée à l’école primaire.

Les instituteurs et l’éducation physique
Passionnés de leur métier, Léger et ses collègues s’ingénient à donner sa place à l’Éducation physique à l’École. Ils ont raison : 1975 sera l’ère des loisirs : seuls, ceux qui auront des dons trouveront leur place, leur équilibre, leur assiette dans ce monde à venir. Nous devons donc, dès maintenant, développer toutes les aptitudes de nos hommes de 1975 et nous ne pouvons négliger les aptitudes physiques.

Pour atteindre leur but, les professeurs des C.R.E.P.S. ont mâché le travail du maître au maximum. Ce pourrait ne pas être un mauvais calcul car l’instituteur qui est le Maître Jacques de l’instruction et qui a, par ailleurs, d’autres chats à fouetter, est heureux de voir le travail préparé à ce point.

Cependant, une certaine catégorie d’instituteurs seulement sera touchée de cette manière. Les professeurs des C.R.E.P.S. devraient lire des bouquins de caractérologie. Ils verraient que si leur présentation méthodique, « scientifique » de la gym peut plaire à certains tempéraments (les sanguins, les flegmatiques), il en est que cela rebute profondément.
Et ce sont ceux dont le caractère ne saurait accepter une nourriture à ce point mâchée et même prédigérée. Et ils n’ont pas tort, car on ne fait vraiment bien que ce que l’on veut, ce que l’on décide, ce que l’on construit, ce que l’on crée ou recrée. Ils veulent assimiler, ils veulent adapter. Ils veulent penser leur gym. Ils n’acceptent pas de faire de l’éducation physique dans leur classe pour des raisons extérieures à eux-mêmes. Mais ils n’en font pas tellement parce qu’ils pataugent : ils ne voient pas clair ; ils sont insuffisamment aidés. Peut-on faire de l’éducation physique du bout des lèvres en pensant que ce n’est peut-être pas ça.

Je suis sûr que si nous nous mettons à l’œuvre, Léger et ses collègues seront heureux de nous voir prendre notre part du travail en contribuant à faire passer l’éducation physique dans les habitudes de l’école.

Comment ferons-nous ? Eh bien ! Comme pour le reste. Nous commencerons par nous aider nous-mêmes. Afin de provoquer le démarrage de la discussion, je verse ce qui suit au dossier.

 (À suivre)

Paul Le Bohec

Texte paru dans Techniques de Vie n°12, février 1962, p.30-31